Le virage sécuritaire pris par l'Exécutif français après les attentats du 13 novembre a eu raison de sa ministre de la Justice : Christiane Taubira, icône de la gauche, a jeté l'éponge, hier, en désaccord sur la réforme constitutionnelle voulue par François Hollande. Prévisible depuis des semaines, cette démission aggrave la fracture au sein du gouvernement de François Hollande et du Parti socialiste (PS) dont certaines réformes politiques et économiques sont plutôt plus proches de celles voulues par la droite et l'extrême droite françaises. "Parfois, résister c'est rester, parfois résister, c'est partir. Par fidélité à soi, à nous. Pour le dernier mot à l'éthique et au droit", lit-on sur le compte Twitter de la désormais ex-ministre de la Justice et garde des Sceaux. Sa démission, actée selon l'Elysée avant le départ de M. Hollande en Inde, le week-end dernier, a été annoncée en début de matinée d'hier. L'annonce a été faite alors que le Premier ministre, Manuel Valls, s'apprêtait à dévoiler la dernière mouture de cette réforme, qui inscrit dans la Constitution l'état d'urgence ainsi que la déchéance de nationalité pour les auteurs de crimes terroristes. La ministre, une femme lettrée et grande oratrice, à la forte personnalité, a aussitôt été remplacée par Jean-Jacques Urvoas, un proche du Premier ministre Manuel Valls, spécialiste des questions de sécurité. Il y a une nécessité au gouvernement d'une "éthique collective et d'une cohérence forte", a souligné, hier, François Hollande, lors du Conseil des ministres hebdomadaire, cité par le porte-parole du gouvernement. La droite et l'extrême droite, dont la ministre de la Justice, originaire de Guyane, était la tête de turc depuis qu'elle a porté, en 2013, la loi sur le mariage homosexuel, se sont réjouies de sa démission. C'est "une bonne nouvelle pour la France", a estimé la présidente du Front national Marine Le Pen, accusant Mme Taubira d'avoir "fortement dégradé" la "situation sécuritaire de la France" et "affaibli l'autorité de l'Etat" avec une politique pénale "laxiste". "La démission de Christiane Taubira est logique, elle n'était plus en cohérence avec le gouvernement", a renchéri Hervé Mariton, député du parti Les Républicains (droite). Mme Taubira, censée porter la réforme constitutionnelle, n'avait pas caché son opposition à l'extension de la déchéance de nationalité aux binationaux nés Français (déjà possible pour les naturalisés) et à son inscription dans la Constitution. Cette mesure avant tout symbolique annoncée par le président socialiste dès le 16 novembre devant le Parlement était réclamée par l'opposition, mais a fracturé la gauche, certains accusant l'exécutif d'introduire une différence de traitement entre citoyens, un sujet sensible en France où les binationaux sont évalués à 3,6 millions. Les auteurs des attentats de 2015 en France avaient tous grandi en Europe et certains avaient la nationalité française. Mais la mesure n'aurait eu sur eux aucun effet : ils sont tous morts dans des attaques kamikazes ou ont été tués dans des affrontements avec la police. Pour se sortir du guêpier, le texte qui sera dévoilé par Manuel Valls devrait supprimer toute référence aux binationaux dans la Constitution. Mais dans les faits, cette sanction ne pourra concerner les Français sans autre nationalité, les conventions internationales interdisant de créer des apatrides. Lyès Menacer/Agences