Mohammed Ben Nayef Ben Abdelaziz Al-Saoud Volontiers belliciste, le monarque a engagé son pays dans différents conflits, en Irak, en Syrie et davantage encore au Yémen pour contrer l'ambition chiite, cristallisée par la rébellion houtie face à laquelle il a déployé des moyens et des effectifs importants... Mohammed Ben Nayef Ben Abdelaziz Al-Saoud, vice-président du Conseil des ministres saoudien et ministre de l'Intérieur a effectué une visite à Alger, mercredi dernier. Le prince héritier du royaume d'Arabie saoudite a été reçu par le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, l'entretien ayant revêtu les attributs d'une audience classique. L'événement est passé presque inaperçu, n'eut été le communiqué laconique pour souligner la venue d'un personnage éminemment important dans l'échiquier politique de l'Arabie «heureuse». Ce n'est pas tous les jours, en effet, que le prince héritier se rend à l'étranger, si ce n'est pour aborder des questions d'une urgence capitale. Même, il faut savoir que la raison qui préside à un tel voyage doit nécessairement répondre à un intérêt des plus essentiels Depuis l'intronisation du roi Salman, l'Arabie saoudite s'est engagée, on le sait, dans une course contre la montre pour le leadership dans la région du Moyen-Orient où la montée en puissance de l'Iran, voisin et rival séculaire, ne cesse d'inquiéter les Etats membres du Conseil consultatif du Golfe, majoritairement sunnites. Volontiers belliciste, le monarque a engagé son pays dans différents conflits, en Irak, en Syrie et davantage encore au Yémen pour contrer l'ambition chiite, cristallisée par la rébellion houtie face à laquelle il a déployé des moyens et des effectifs importants sans parvenir d'ailleurs à la résorber. Son souci d'une hégémonie politique et doctrinale n'est pas fondamentalement différent de la démarche qui a guidé ses prédécesseurs quand il s'agissait de porter le Verbe wahabite à travers le monde musulman dans son ensemble, mais le roi Salman se démarque par son activisme et sa volonté de décréter la mobilisation générale contre la puissance perse. Tout cela sans parler de la stratégie mise en oeuvre au sein de l'OPEP que Riyad a mis au ban pour conduire sa propre manoeuvre de sabordage du marché pétrolier, avec pour conséquence la chute dramatique des prix de l'or noir qui fait craindre le pire pour plusieurs pays membres mais pas seulement, la Russie subissant de plein fouet les conséquences de cette guerre qui ne dit pas son nom. L'OPEP qui réunit aujourd'hui 13 pays membres (l'Algérie, l'Angola, l'Arabie saoudite, l'Equateur, l'Indonésie, l'Iran, l'Irak, le Koweït, la Libye, le Nigéria, le Qatar, les Emirats arabes unis et le Venezuela) cherche désespérément, depuis des mois, une solution à ses déboires mais se heurte, du moins jusqu'à ces derniers jours, à l'intransigeance saoudienne. En deux ans à peine, l'Arabie saoudite se retrouve engluée dans une situation inextricable, dont elle n'est pas près de sortir. Quant à croire un instant qu'elle va gagner la guerre au Yémen, il faudrait faire preuve d'une bonne dose de naïveté ou de parti pris, à un moment où l'argent commence à lui manquer du fait même de sa politique pétrolière. Croyant en sa bonne étoile, le roi Salman avait cru ingénieux de mobiliser une «coalition» arabe dans le cadre de la Ligue arabe elle-même, pour soi-disant lutter contre le terrorisme, et islamique dans celui, plus large et plus disparate, de l'Organisation de la Conférence islamique (OCI). Peine perdue, si la plupart des pays ont dit oui, certains du bout des lèvres, contrairement à l'Algérie qui a sans cesse marqué sa différence et respecté sa doctrine de non ingérence dans les affaires d'autrui et de recherche inlassable du dialogue politique pour résoudre les conflits, beaucoup freinent des pieds et des mains l'ardeur de Riyad, conscients de l'inanité de l'offensive, surtout au moment même où la Russie est montée au créneau pour barrer la route à l'entreprise de sape menée contre la Syrie alaouite dont la majorité sunnite syrienne souhaite se débarrasser. Ainsi, cette visite du prince héritier saoudien à Alger qui suit de peu, quelques semaines à peine, celle du ministre des Affaires étrangères, Adel Ben Ahmed Al Jubeir, reçu d'ailleurs avec un manque d'empressement flagrant, répond donc à une pressante inquiétude du palais royal saoudien qui prend conscience de la nécessité de changer le fusil d'épaule et de remplacer la politique de la canonnière par celle du calumet de la paix. Car, au même moment, l'armée du président Bachar Al Assad achève de reconquérir Alep tandis que l'opposition syrienne, campée à Riyad, brasse du vent en termes de conditions préalables à une participation au dialogue ouvert à Genève. Et l'avancée des troupes du régime de Damas, appuyées avec constance et détermination - Moscou a rejeté l'appel des Occidentaux et de l'opposition à un arrêt des bombardements des positions terroristes - par la Russie, n'est pas prête d'être stoppée, même si des drames humains de grande ampleur sont effectivement constatés. Mis en échec au Yémen, en proie à une crise financière de plus en plus grave sur le marché pétrolier, menacé dans sa stratégie contre l'Iran en Irak et en Syrie, le palais royal saoudien semble bien en quête de la solution médiane, prescrite dans le livre sacré, et pourrait donc avoir dépêché le numéro 2 du régime pour rallier l'Algérie à un nouveau travail de médiation entre Téhéran et Riyad, sachant que l'Iran a toujours eu et garde une oreille attentive du côté d'Alger, son seul et rare allié sunnite dans tout le monde musulman. Empêtré dans une politique d'austérité aussi soudaine que brutale, l'Arabie saoudite a grandement besoin de desserrer l'étau dans lequel elle s'est fourvoyée d'elle-même et, pour renouer les fils du dialogue avec l'Iran, au plan régional, et la Russie, au plan du choc pétrolier, il lui faut un soutien crédible et convaincant, tant les deux pays ont appris à se méfier au plus haut point de la politique saoudienne.