Ils tournent le dos à la politique La «négation du politique» et l'inadaptation des visions des partis aux aspirations des Algériens sont les principales raisons évoquées par Mahrez Bouiche, spécialiste en philosophie politique. Les partis au pouvoir et ceux de l'opposition s'accusent mutuellement de ne pas avoir un ancrage dans la société et d'être «vomis» par celle-ci. «Les partis de l'opposition menacent de lancer des campagnes, des livres et de sortir dans la rue. Alors, qu'ils sortent dans la rue et on verra s'ils ont vraiment des soutiens dans la société! Ces partis sont des opposants dans les palais et les salons, et ils n'ont aucune existence dans la rue algérienne. Ils sont incapables de mobiliser une poignée de personnes», a déclaré Amar Saâdani récemment dans un entretien avec une agence allemande d'information. «Le FLN et le RND sont des appareils entre les mains du pouvoir. Ils ont une clientèle qu'ils gèrent à coups de privilèges, mais pas de militants. Les Algériens les vomissent parce qu'ils savent comment ils fonctionnent et quels sont leurs objectifs», clament de leur côté des opposants. Dans ce bal d'accusations, au demeurant interminable tant il est vrai que la société constitue une cible que se disputent impitoyablement les partis politiques, où est la vraie place de la société? Que pensent les Algériens des partis politiques? Dans une enquête faite par Arab Barometer, il est dit que 15% seulement des Algériens s'intéressent à la politique. Parmi les jeunes, âgés entre 15 et 29ans, 2% seulement adhèrent à des partis politiques. Cet état de fait remet en cause tous les discours politiques servis çà et là par les partis car il traduit la désaffection des Algériens vis-à-vis de la politique. Néanmoins, le constat est relatif. En effet, selon Mahrez Bouiche, enseignant de philosophie politique à l'université de Béjaïa, «la question de l'ancrage social des partis politiques demeure la question énigmatique de l'équation politique algérienne. La classe politique algérienne n'a pas un ancrage réel dans la société et ne peut pas mobiliser car, d'une part, elle est otage des pratiques d'un pouvoir autoritaire qui contrôle tout et qui ne permet pas l'émergence de partis mobilisateurs et, d'autre part, parce que ces partis n'arrivent pas à actualiser les programmes politiques autour des revendications portées par la société», a-t-il expliqué. De plus, M.Bouiche évoque les mutations de la société algérienne qui ont fait que la politique occupe, selon lui, un second rôle dans l'imaginaire collectif national. «Les mutations sociales et politiques qu'a connues la société algérienne ont fait que la revendication politique occupe le second plan dans l'imaginaire collectif et plus ou moins dans les revendications sociales; le marasme social et économique, les problèmes du chômage et de logement, la situation de la santé, la dégradation du cadre de vie, etc., où est plongé le pays, ont fait que la société ne s'intéresse plus à la politique dans sa conception classique, mais beaucoup plus à la recherche de celui ou celle qui peut résoudre ses problèmes immédiats. Cette situation de la sinistrose sociale provoquée par l'incapacité du pouvoir en place à gérer le pays a constitué la règle majeure pour éloigner la société de tout ce qui est politique», a-t-il ajouté avant de s'étaler sur le profil et les comportements du personnel politique qui n'encouragent pas les Algériens à s'impliquer en politique. «La société algérienne n'est pas une société spectatrice mais elle est victime à la fois de ses différentes déceptions de la politique et des images que dégage le personnel politique, (un homme corrompu, opportuniste, incompétent...) ainsi que de faux problèmes et des lugubres rivalités politiques qui ne reflètent en aucun cas ni la véritable action politique, ni la moindre éthique politique», a souligné Mahrez Bouiche, avant d'ajouter: «La société a horreur du vide politique, mais aussi de 'l'embouteillage'' des politiques, et des idées politiques stériles qui ne font que déchoir davantage le regard de la société à l'égard de la politique.» Par ailleurs, tout en brossant un tableau peu reluisant de la classe politique qui demeure, selon lui, incapable de mobiliser en raison de l'inadéquation de ses visions avec les attentes et autres aspirations de la société et des pratiques «étouffantes» de ce qu'il appelle «le pouvoir autoritaire», Mahrez Bouiche considère qu'il existe tout de même deux acteurs encore capables de mobiliser, à savoir le pouvoir et les islamistes. «Aujourd'hui, seul le pouvoir et les islamistes ont la capacité et les moyens de mobilisation car, pour le pouvoir, il a la mainmise sur les institutions de l'Etat et possède l'argent qu'il faut pour cela, et pour les islamistes, ils produisent des discours politico-religieux qui s'articulent autour des caractéristiques conservatrices et religieuses de la société devenues des constantes intouchables», relève-t-il.