QUESTION : Très rapidement, nous avons vu émerger une, puis deux Cncd... quelle lecture faites-vous d'un tel état de fait? BOUICHE MAHREZ : L'idéal politique d'un changement radical et pacifique en Algérie demeure une évocation assez ambitieuse et riche de faramineux espoirs pour motiver et rassembler les efforts de chacun et de tous. Il constitue tout de même le seul ressort assez puissant pour faire de toute masse, au départ simple accumulation d'individus soumis à toutes les influences et à tous les écarts que nous avons inventoriés, une organisation politique et sociale solidaire et constructrice d'un incontestable changement, radical et pacifique, avec une forme réelle d'un agissement politique véritable que seule l'histoire va pouvoir pertinemment juger. C'est dans cette logique du travail que la phrase qui couronne notre démarche au sein de la Cncd-Barakat est «Passer de l'atrocité politique unitaire et dictatoriale à l'instauration d'une république algérienne libre, démocratique et sociale en poursuivant un rêve qui est si cher aux Algériens depuis la révolution de 1954, ainsi que décliner toutes les formes qui contraignent le peuple à exercer son droit inéluctable de construire son avenir». A vrai dire, tel est le cycle de la vie d'un peuple. Pour cela, toute volonté politique de coordination devra se construire autour de deux pivots obligatoires. Le premier consiste à porter le même idéal politique comme seul centre d'intérêt à réaliser dans l'investissement dans de véritables actions politiques communes cogitées au préalable. Le deuxième pivot concerne la mise en place d'un «Snmg» politique qui peut être le ciment fédérateur des forces du changement. Je pense qu'en l'absence de ces deux pivots, la possibilité d'un travail politique commun perd toutes raisons d'existence. Combien faisait défaut la politique de l'autruche du pouvoir en place et combien devenait indispensable la formulation d'un projet de changement politique, d'un nouvel idéal de société à atteindre par la démocratie, la liberté, et le respect des droits de l'Homme ? Selon vous, quels sont les fondements qui doivent présider à toute revendication de changement ? Loin de toutes les introspections faites par le pouvoir en place, soit à travers plusieurs canaux de médias lourds, soit par les différentes déclarations du ministre de l'Intérieur, ou bien celles faites par certains éléments proches du pouvoir, des déclarations qui visent instantanément à discréditer le politique, la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (Cncd-Barakat), composée de la Laddh, de syndicats autonomes et de SOS-Disparus et d'organisations de jeunes, est aussi consciente des manœuvres habituelles d'un pouvoir qui fait que dans la fuite en avant. Et pour répondre à votre question, je pense que tout changement doit disposer du moins de trois fondements cardinaux. Le premier est d'avoir un idéal politique comme alternative à la situation actuelle, et cela pour que le fil conducteur du changement ne devienne pas sans repères. Le deuxième est de se donner le temps nécessaire pour expliquer à la société la nature de la démarche. Il faut développer avec des discours aussi clairs aux Algériens la notion de changement du système que nous prêchons. Et le troisième fondement consiste à prendre en considération les paramètres historico-politiques et socioculturels de l'Algérie, car un pays comme le nôtre, qui vient de sortir d'une atroce guerre civile et d'un âcre traumatisme psychologique dont les séquelles ne sont pas guéries à nous jours, a besoin d'un véritable travail politique pour que l'on puisse rétablir d'abord la confiance des Algériens en eux-mêmes. Cela seul permettra de mobiliser la société comme seule force motrice de tout changement radical et pacifique du système. C'est dans cette logique pédagogique du travail que nous chapitrons à la Cncd-partis politiques de prescrire des démarches dans la précipitation la plus hostile, et de vouloir acheminer trop vite sans passer par les étapes nécessaires qui puissent engendrer un aboutissement véritable vers un changement réel du système, car on pense pertinemment qu'un changement dans ce sens va prendre du temps. C'est pour cela que notre mobilité s'inscrit dans la durée et la Cncd-Barakat va prendre le temps qu'il faudra pour réaliser ses objectifs. La Cncd-Barakat compte continuer à investir la rue ? Pourquoi une telle option ? Je pense que dans les circonstances politiques et sociales que traverse actuellement le pays, le premier travail qui a été fait au niveau de la Cncd-Barakat est d'accentuer de nouvelles démarches sollicitées par la population durant les différents meetings qu'elle a organisés auparavant. On constate que l'action des marches populaires demeure un inévitable moyen de lutte tant escompté par la population. En effet, le schéma politique d'une nouvelle structure doit inévitablement réincarner, dans la vigilance politique la plus totale, l'esprit de la population et les espérances des catégories sociales défavorisées, un esprit qui vise un changement radical et pacifique du système en place, un changement qui durera dans le temps et dans l'espace, et en même temps coopérer d'avantage avec toutes les forces sociales, en particulier la jeunesse, qui livrent depuis aussi longtemps un prodigieux combat pour un réel changement. Seule une dynamique réfléchie dans la forme et le contenu est en mesure d'assumer la continuité. Seule cette dynamique pourra triompher sur toutes les contraintes. Et la Cncd-Barakat opte incontestablement pour cette dynamique. L'opposition, organique ou non, a du mal à rassembler les foules. A votre avis, quelles en sont les raisons ? Il est tout à fait évident qu'aujourd'hui il est plus que nécessaire de faire une déconstruction des discours et des pratiques politiques du pouvoir en place, et cela pour ne pas tomber dans sa «connexion politique», qui vise essentiellement à discréditer le politique, de manière générale, et l'opposition politique non organique, en particulier, en même temps reproduire d'analogues conditions qui assurent son maintien en place. Il est tout à fait clair que l'opposition politique non organique, désormais fragile aujourd'hui en Algérie, cela est causé par plusieurs discernements, mais il est aussi indigne d'anéantir les efforts des incontestables forces politiques d'opposition connues dans l'histoire politique algérienne, de sa sincérité et de sa redoutable cohérence politique. Accuser aujourd'hui l'opposition, c'est aussi reproduire le même discours du pouvoir, et cela je le nomme «nihilisme politique». Une stratégie, parmi d'autres, est adoptée par le pouvoir pour calomnier le politique. La venue de Bouteflika à la tête du pouvoir était, en premier lieu, de réaliser deux grands chantiers non conclus depuis la fin des événements d'octobre 1988. Le premier chantier est la dépolitisation de toute la société algérienne et un retour informel aux pratiques politiques du parti unique. Il y a eu un verrouillage politique et médiatique instauré comme une norme incontestable dans la gestion politique algérienne, alors qu'aucun parti politique, aucune association, aucune organisation n'ont connu une stabilité politique et organique intérieure. La stratégie de la manipulation et la maladie habile de redressement sont devenus des vaccins politiques adoptés par le pouvoir en place pour étouffer toute praxis politique qui provient de la société et d'anéantir les germes d'une pratique politique qui découle en dehors des ses appareils. Mais une chose est sûre, lorsqu'on chasse le naturel il revient au galop. La chasse au politique en Algérie a engendré des contrecoups très néfastes et des répercussions qui ont non seulement influé négativement sur la société, mais ont aussi dévoilé l'incapacité du pouvoir en place à gérer les affaires du pays. Le deuxième grand chantier consiste éventuellement à l'instauration d'un climat favorable pour la nouvelle bourgeoisie émergente. A vrai dire, cela consiste à créer les conditions nécessaires pour faciliter l'emplacement des nouveaux riches de l'Algérie. Ceux qui détiennent l'import-import bien évidemment. Jamais l'Algérie n'a connu un aussi inexorable dysfonctionnement dans tous les secteurs et une corruption généralisée. Le système algérien est véritablement dans une ménopause politique, aucune démarche ne peut se faire sans lutte fratricide, alors la seule issue qui lui reste est d'écouter attentivement les espérances de la société. *Bouiche Mahrez, enseignant de philosophie à l'université de Béjaïa et membre de la Cncd-Barakat.