Quatre accusés du crime de détournements ont été jugés. Deux s'en sont sortis. La justice s'est prononcée. Mais comment récupérer le milliard trente millions de centimes, cet argent public? L'affaire a consisté en la confection de mandats Trésor au nom de Heroual, bénéficiaire des virements effectués par la wilaya de Blida, dans le cadre de la fourniture «informatique mobilier de bureau». Les factures ont été détournées en faveur de Redouane D., entrepreneur, alors qu'elles l'étaient sous le nom de Heroual. Le compte Redouane était domicilié à la BDL. Avec ce procédé, d'autres mandats fictifs ont été remplis et émis par un tiers et endossés par les deux agents du Trésor, Med Amine M. et Tayeb F., qui ont falsifié de ce fait quatorze mandats d'un montant de plus de 1 milliard trente millions de centimes de nos dinars. «Ah! Les coquins», dira Me Med Attaf pour la partie civile. Le pot aux roses a été découvert à la suite d'une inspection de routine. Mieux. L'expertise a mis à nu des détournements d'un virement au profit des gardes communaux de près de deux cents dix-huit millions de centimes versés dans le compte de Redouane D., dont l'avocat Me Khaled mettra tout en oeuvre pour sauver le maximum de ce qu'il peut sauver. Pour la présidente, ce dossier est sensible. Il y a en jeu la liberté des citoyens. C'est pourquoi, elle s'est montrée tolérante à fermer les yeux devant les multiples incidents, d'où Me Ksentini est sorti vainqueur tout comme Me Boulefrad et surtout le fin Me Benouaret. Ce qu'il faut vite signaler, c'est le boulot efficace de l'expert qui a pris la précaution d'effectuer deux expertises, dont le résultat a mené droit Redouane D., Tayeb F., Med-Amine M. et Abdelkrim M.devant la «crim». En effet, la loi prévoit qu'en dessous de cinq cents millions de centimes, l'auteur du détournement se trouve devant un délit et donc en correctionnelle. Or, après une profonde expertise, les quarante-huit millions de centimes découverts sur les «rappels de salaires» ont sauté le cap des cinq cents millions. Et cette analyse a été celle élaborée, entre autres, par Djamila Hattou, le PG de l'audience. A la barre donc, nous avions deux agents du Trésor et deux fournisseurs dans le pétrin, même si Me Chabi Benouaret, le défenseur de Tayeb F., avait avalé de travers en relisant l'arrêt de renvoi qui avait retenu pas moins de trois articles du code pénal: 42, 119 et 219 et dont la peine maximum prévue est de 20 ans de réclusion. Med Amine M. est le premier accusé à comparaître. 1,87 m, le teint clair, la mine épanouie (eh oui) le port haut, le front dégarni, il répond à haute voix (à la demande de la présidente) aux questions du tribunal criminel. Il a neuf ans d'ancienneté au Trésor public. Il tente d'éluder les faits et passe aux chiffres. C'était compter sans le sens de la ligne droite de Kessenti, laquelle est ravie que l'accusé crache le morceau sans résistance avec quelques précautions. La juge lui rappelle le complice Tayeb F. et son rôle dans ce long processus de détournement. Même l'expert a expliqué qu'il fallait beaucoup de temps pour aller vers la «sortie». «On ne peut pas résumer en cinq lignes les faits», avait-il déclaré d'emblée, lors de son témoignage. «Oui, vous avez raison. C'est une affaire scabreuse», avait clamé Kessenti, encore sous le choc subi à la suite du décès de Lamara, son PG, cinq jours plus tôt. L'accusé, au même titre que les trois autres, en regardant Benaïda, Kessenti et Rechache, les trois juges et les deux jurés dont une dame avait comme un frisson qui lui parcourait l'échine. Malgré cela, il se défend avoir réfléchi sur son acte de faux en écritures bancaires. «Ah non ! Med Amine. Vous n'allez tout de même pas tenter de mettre dans votre poche les membres du tribunal criminel. Vous aviez pris les chèques, vous les aviez remplis, transcrit ces mêmes chèques et vous prétendez n'avoir rien prémédité!», avait tonné la magistrate qui venait de secouer les quatre accusés et certains de leurs avocats, pourtant vigilants depuis que Kessenti avait rappelé que les accusés avaient d'abord nié les faits devant le juge d'instruction. Me Ezzeraïmi pose une question qui fait bondir Me Ksentini. Hattou, représentant le ministère public et malgré son âge, appelle les avocats à plus de calme et ne pas perturber les accusés et le parquet. Kessenti laisse faire jusqu'à la clôture provisoire de l'incident, somme toute naturelle. «Où est passée la somme détournée?» questionne Hattou qui considère Med-Amine M. la colonne vertébrale du dossier. «Vous n'aviez aucun bénéfice lors du détournement de fonds?» L'accusé dit: «Oui», en regardant vers le box des accusés où sont assis les trois autres codétenus. Puis les multiples questions de la demi-douzaine d'avocats nous ont entraînés dans les affres des profondeurs des chiffres, des procédures techniques de règlement des factures et nous vous en faisons grâce. Ce fait est que les faits demeurent têtus. Le reste des accusés, l'expert, les témoins, le réquisitoire et les plaidoiries ont donné le tournis à l'assistance. Si Maîtres Ezzeraïmi et Attaf, pour la partie civile, ont réclamé la restitution de la somme détournée, Hettou, la parquetière, avait participé pleinement aux débats est a, à chaque fois, planté une remarque juste pour ne pas laisser le champ aux avocats. La défense en bloc s'est démenée, juste de quoi obtenir chacun pour son client le verdict à sa juste valeur. Me Chabi Benouaret pour Tayeb criera sa douleur : «Il n'y est pour rien», siffle-t-il. Me Ksentini se dit en totale communion avec le verdict premier : «J'ai confiance en nos juges.» Me Boulefrad soulèvera l'admiration des présents par une éblouissante plaidoirie. Hattou pour le ministère public requiert en «bloc» une peine de réclusion de 15 ans! Pas moins, M'dam. Vers les 22h30, soit douze heures après le début de l'audience, Kessenti, la présidente, revient avec une mine défoncée, un visage défoncé et des traits mochement tirés. Elle lit solennellement le verdict. Med-Amine M. écope de sept ans de réclusion, Redouane D. quatre, alors que Fadhloun et Mebarki ont été acquittés. La détresse des deux premiers n'a d'égale que la mine réjouie des deux autres.