Le bétonnage de ces imposantes colonnes n'a pas été réalisé en une seule journée ni en l'espace d'un seul mois. La démolition de près de 70 piliers en béton armé, d'un diamètre de 90x90 cm et d'une hauteur de 8 m chacune de la mosquée en construction, Abdelhamid Ibn Badis, depuis près de 20 ans, n'est pas une erreur de calcul de béton ni une mince affaire qu'il faudrait taire. Non, car il s'agit de deniers publics et de la sécurité des citoyens mis en jeu dans cette sombre affaire. Au vu des procès-verbaux de chantier et des nombreuses correspondances adressées par l'organisme de contrôle technique de l'Ouest (CTC) aux différents intervenants dans cet important ouvrage, attirant régulièrement leur attention sur les très mauvais résultats de résistance du béton, il est légitime de penser qu'il pourrait s'agir d'une grave négligence qui nécessite l'ouverture d'une enquête par les services compétents afin de situer les responsabilités de chacun dans cette dilapidation, avérée sans nul doute, de deniers publics. La démolition de ces piliers fait perdre à l'entreprise de construction, Batior, des dizaines de millions de centimes et un temps fou dans la livraison de ce lieu de culte qui n'a pas encore vu le jour malgré le fait qu'il a été lancé en 1974. Le bétonnage de ces imposantes colonnes n'a pas été réalisé en une seule journée ni en l'espace d'un seul mois. L'opération s'est étalée sur une période de près d'une année du fait qu'elle a été entamée à partir du mois de mai 2003. Les intervenants dans la réalisation de ces ouvrages avaient le temps nécessaire pour améliorer la qualité du béton utilisé. Les services CTC d'Oran, desquels nous nous sommes rapprochés pour en savoir plus sur cette affaire, nous ont fourni suffisamment de détails pour conclure que l'affaire ne doit pas être tue, loin de là. En premier lieu, nous a-t-on expliqué, les essais d'autocontrôle du béton (écrasement) se font en trois périodes d'âge du béton, à savoir les 7e, 8e et 28e jour. Ils sont à la charge de l'entreprise de réalisation des travaux. Les prélèvements de béton se font à la source et en présence d'un technicien du bureau d'études chargé du suivi désigné par le maître de l'ouvrage, ce qui permet en principe de rectifier le tir à chaque fois qu'il est nécessaire, et de se conformer aux normes exigées. Depuis le début du bétonnage de ces poteaux, le CTC n'a pas cessé d'attirer, par écrit et en temps utile, l'attention des intervenants sur ce projet pour les tenir informés des résultats des tests effectués et qui confirmaient l'insuffisance de la résistance du béton utilisé. A ce jour, nous a-t-on expliqué au niveau du CTC, il y a eu 140 carottes de béton prélevées sur différents endroits de chaque pilier. Les résultats du béton obtenus sont très faibles et varient en moyenne entre 28 kgf/cm² et 143 kgf/cm² au lieu des normes minimales exigées par l'article 7-2-1 des règles parasismiques algériennes de 1999 (RPA 99) et qui sont de l'ordre de 200 kgf/cm². Concernant le bétonnage des éléments et poteaux en plusieurs phases, les responsables du CTC, que nous avons rencontrés, nous ont expliqué avec preuves à l'appui (P-V de chantier signés par toutes les parties exerçant sur l'ouvrage et correspondances échangées) qu'au mois de mai 2003, période de bétonnage desdits poteaux soutenant la dalle de la salle des prières, «nous avons fait savoir à l'entreprise Batior que, réglementairement, le bétonnage en plusieurs phases est proscrit, cela a été consigné dans un procès-verbal et précisé dans des correspondances adressées aux intervenants». Malgré ces mises en garde, le bétonnage a été réalisé en plusieurs phases. Nos interlocuteurs ajouteront que, «pour chaque constat technique pouvant influer sur la qualité et la stabilité de n'importe quel ouvrage, le CTC a toujours informé en temps utile les intervenants afin qu'ils puissent prendre les mesures et précautions qui s'imposent». Il est à noter qu'avant cette affaire de poteaux, les techniciens du CTC avaient décelé une faible résistance du béton au niveau du voile V1 utilisé dans la construction du minaret, élément important dans la stabilité de cette partie de l'ouvrage. Des essais complémentaires ont été effectués en juillet 2003 et les résultats obtenus étaient de 60 kgf/cm², ce qui avait entraîné la démolition de ce voile. Le plus étonnant dans cette affaire, c'est qu'à Oran il existe des entreprises de construction étrangères qui utilisent les mêmes matériaux de construction que les entreprises algériennes et obtiennent de très bons résultats de résistance du béton, qui sont de l'ordre de 350 kgf/cm² et plus. Que s'est-il passé alors pour les piliers de la mosquée Ibn Badis?