Les harkis ont toujours été des variables d'ajustement du jeu politicien droite-gauche en France «Si j'étais musulman, je serais du côté des fellagha''. Je ne suis pas musulman, mais je suis algérien, d'origine européenne. Je considère l'Algérie comme ma patrie. Je considère que je dois avoir à son égard les mêmes devoirs que tous ses fils. Ma place est aux côtés de ceux qui ont engagé le combat libérateur.» Jules Roy, colonel d'aviation, écrivain né dans la Mitidja 19 Mars 2016, 54 ans après, la France de Hollande veut «ouvrir une nouvelle page» avec l'Algérie, en commémorant l'anniversaire au grand dam des associations françaises qui regroupent une bonne partie des rapatriés d'Algérie. Pourquoi 54 ans après la tragédie de la guerre d'Algérie, il se trouve encore des hommes et des femmes (le petit nombre) qui font de ce malheur un fonds de commerce? Que représentent ces boute-feux au sein de la population française. On nous parle encore aujourd'hui de massacres perpétrés méthodiquement et à grande échelle le 19 Mars 1962. Qu'en est-il de ces harkis utilisés à des desseins bassement électoralistes aussi bien par la droite que par la gauche? La nostalgie de la colonisation Plus de cinquante ans après l'indépendance algérienne, cette date, devenue celle de la Journée nationale de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc, fait toujours polémique. Pour Gilles Manceron: «Cette Journée nationale du souvenir a été votée en décembre 2012, après l'élection de François Hollande comme président de la République. Parce que les partisans de l'Algérie française de l'époque, qui s'étaient opposés au cessez-le-feu des accords d'Evian, ont continué à faire entendre leur vision de l'Histoire, à savoir qu'il aurait fallu maintenir la présence française (...) Cette vision d'une légitimité de l'Algérie française, a acquis une certaine hégémonie culturelle dans cette région. Politiquement, elle a conquis la droite française. (...) C'est un fait qu'il y a eu encore des victimes après le 19 Mars en Algérie et en France. Mais si elles ont existé, c'est en raison du refus de l'OAS de reconnaître l'indépendance et l'application des accords d'Evian. (...) Il y a eu un militantisme très véhément de l'extrême droite depuis quelques années contre le 19 Mars. On a par exemple vu Robert Ménard débaptiser une rue du 19 Mars à Béziers et lui donner le nom d'un militaire putschiste, Denoix de Saint-Marc. (...) On assiste à un certain réveil du projet colonial qui s'appuie sur la nostalgie de ce monde pied-noir ou du moins qui s'en réclame. D'autres en ont fait un fonds de commerce idéologique» (1). Sarkozy et sa chasse aux voix Le président du parti Les Républicains, Nicolas Sarkozy, critique le choix de François Hollande de commémorer le 19 mars, dans une tribune publiée jeudi sur le site internet du Figaro. «Or, chacun sait qu'il n'en est rien, le 19 mars reste au coeur d'un débat douloureux Choisir la date du 19 mars, que certains continuent à considérer comme une défaite militaire de la France, c'est en quelque sorte adopter le point de vue des uns contre les autres, c'est considérer qu'il y a désormais un bon et un mauvais côté de l'Histoire et que la France était du mauvais côté. Il conclut sa tribune ainsi: «La guerre d'Algérie a été un événement dramatique, des hommes et des femmes portent encore dans leur souvenir comme dans leur chair la trace de cette Histoire vivante, ne déclenchons pas une guerre des mémoires». Nicolas Sarkozy a regretté ce choix «que certains continuent à considérer comme une défaite militaire de la France, c'est en quelque sorte adopter le point de vue des uns contre les autres, c'est considérer qu'il y a désormais un bon et un mauvais côté de l'Histoire et que la France était du mauvais côté». Sur les sujets régaliens, il n'hésite pas à faire des propositions fortes. Ainsi, à la page 146 de son livre, il revient sur «l'indépendance de l'Algérie en 1962 [qui] a conduit nos deux pays à régler les questions de circulation et de séjour des personnes par une convention spécifique en 1968, dérogatoire au droit commun des étrangers». (2) Sur le même thème, l'ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, Patrick Buisson, jette un pavé dans la mare en révélant que l'ancien président s'apprêtait, en 2012 alors qu'il était en pleine campagne pour le deuxième tour, à remettre en cause les accords d'Evian qui ont mis fin à la guerre en Algérie et qui régissent les relations entre l'Algérie et la France. «Qui peut imaginer que, en 2012, Nicolas Sarkozy a failli proposer de dénoncer les accords d'Evian?», écrivent les deux auteurs du livre, Ariane Chemin et Vanessa Schneider, journalistes au Monde. L'ex-conseiller de Sarkozy, a suggéré ainsi à Nicolas Sarkozy de revenir sur le titre de séjour spécifique que peuvent obtenir les Algériens. Finalement, Nicolas Sarkozy renoncera à son idée funeste. «Ce «nabot» n'a «aucun courage», il ne peut rien faire sans moi, Naboléon», se vante alors Patrick Buisson.» (3) Pour Jean-Marie Pottier: «Derrière les critiques de l'ancien président de la République sur la commémoration du 19 mars, on retrouve l'importance des centaines de milliers d'électeurs pieds-noirs. (...) Cette position n'est pas nouvelle de la part de l'ancien président de la République: elle prolonge celles affichées à la fin du précédent quinquennat, avant donc le vote par une Assemblée et un Sénat de gauche de la loi du 6 décembre 2012 instituant le 19 mars comme journée du souvenir. (...) Dans les derniers mois de son quinquennat, Nicolas Sarkozy avait, notamment sous l'impulsion de Patrick Buisson, multiplié les gestes discrets en direction de cet électorat, qu'il s'agisse des pieds-noirs (les rapatriés) ou des harkis (les Algériens engagés aux côtés de l'armée française). (...) La gestion de la mémoire de la guerre d'Algérie reste éminemment politique, à huit mois de la primaire ouverte à droite et à un an de l'élection présidentielle.»(4) Dans le même ordre, à la fois de la récupération politicienne, mais de la persistance d'une certaine persistance du bon temps des colonies, Michelle Tabarot, députée-maire LR du Cannet a parlé d'une «faute historique et symbolique». Dans une lettre publiée par Valeurs actuelles à François Hollande elle écrit: «Vous savez que cette date reste synonyme d'une souffrance jamais éteinte pour les pieds-noirs, les harkis et leurs descendants. Le 19 mars 1962 a été un déchirement avec le choix qui n'en était plus un entre «la valise ou le cercueil». (...) De «cessez-le-feu», il n'y en a jamais eu. Les morts se sont comptés par milliers après cette date, à Oran, rue d'Isly et dans tant d'autres endroits de sinistre mémoire. Le Front national n'est pas en reste. Louis Alliot, vice-président du parti, a étrillé la décision du président dans un communiqué.(...) L'hebdomadaire Valeurs Actuelles a décidé de matérialiser son indignation en mettant en ligne une pétition. (5) Pour rappel, le père de Michèle Tabarot née en Espagne en octobre 1962 était un des dirigeants de l'OAS à Oran. Les harkis, une tragédie française: la réalité des massacres On a beaucoup parlé des harkis pour les présenter comme des victimes du FLN. Personne n'a parlé de la réalité de ces épaves dont la France ne voulait pas. Pour contribuer à une écriture sereine de l'histoire il faut mettre à plat le sort fait aux harkis- ces pestiférés des deux côtés de la Méditerranée et comprendre comment la machine guerrière les a broyés en faisant des traîtres à leur pays qui les a vu naître sous le regard sans indulgence du pouvoir colonial qui n'a pas voulu les reconnaître comme s'étant battus pour la France. Un seul militaire les défendit Hélie Denoix de Saint-Marc. Il écrit: «Lors d'un Conseil des ministres le 25 juillet 1962, Pierre Messmer déclare: «Des musulmans harkis et fonctionnaires se sentent menacés, l'armée demande la position du gouvernement.» De Gaulle répond: «On ne peut pas accepter de replier tous les Musulmans qui viendraient à déclarer qu'ils ne s'entendraient pas avec le gouvernement. Le terme expatrié ne s'applique pas aux musulmans, ils ne retournent pas dans la patrie de leur père, dans leur cas il se saurait s'agir que de réfugiés. On ne peut les recevoir en France comme tels que s'ils connaissent un réel danger.» A une question de Pompidou sur l'inadaptation de quelques milliers de harkis installés sur le plateau du Larzac, De Gaulle ordonne «de les mettre en demeure de travailler ou de partir» (6). Les harkis ont toujours été des variables d'ajustement du jeu politicien droite-gauche en France. Souvenons-nous de la phrase terrible de Georges Frèche le socialiste: «Vous êtes allés avec les gaullistes (...). Ils ont massacré les vôtres en Algérie et, encore, vous allez leur lécher les bottes,! (...) Vous êtes des sous-hommes, vous n'avez aucun honneur!» Pour Nicolas Lebourg, «(...) Les camps pour harkis étaient parfois d'anciens camps d'internement récupérés. Selon les calculs d'Abderahmane Moumen, le plus grand site fut celui de Rivesaltes (juste à côté de Perpignan, pas très loin de Béziers), (...) 22.000 harkis y transitèrent entre septembre 1962 et décembre 1964. Des familles y demeurèrent jusqu'en 1977. Elles n'étaient ni internées ni autonomes. Les personnes étaient plus traitées comme des réfugiés algériens que comme des Français. (...) Mais, pour l'extrême droite actuelle, la thématique de l'abandon des harkis permet tout à la fois de se faire le chantre d'un patriotisme de contrat social et de faire passer un virulent message contre la présence d'origine arabo-musulmane en France.» (7) La réalité des massacres des harkis L'historien Abderahmane Moumen écrit: «Cette question des violences contre les anciens supplétifs a été évoquée par des spécialistes de la guerre d'Algérie (...) (...)Gilbert Meynier a pu aussi avoir accès à des archives algériennes concernant cette période de l'indépendance et traitant des harkis. La question du bilan chiffré des massacres fait aujourd'hui polémique. Si nombre d'associations de «harkis» et de rapatriés, avancent le chiffre de 150.000 personnes assassinées dans un massacre prémédité (...)Du 19 mars au 1er juin 1962, les pouvoirs publics dénombrent officiellement 487 «Français musulmans» déclarés enlevés, dont plus de 40 dont les cadavres ont été retrouvés, 84 qui ont été relâchés par le FLN et 31 libérés par des unités de l'armée française. (...) Ce n'est qu'en novembre qu'une première estimation globale est avancée. Jean Lacouture, dans Le Monde du 13 novembre 1962, dénonçant ces massacres et l'inaction des pouvoirs publics français et s'appuyant sur des sources militaires, estime à plus de 10.000 personnes le nombre de massacrés du 19 mars au 1er novembre 1962.» (8) «Néanmoins, le chiffre le plus fréquemment cité provient d'une péréquation à partir des chiffres du rapport de 1963 de l'ancien sous-préfet d'Akbou qui estimait que le bilan des massacres dans son ancien arrondissement était situé entre 1000 et 2000 victimes: en multipliant ces chiffres par le nombre des 72 arrondissements de l'Algérie, on a abouti aux chiffres de 72.000 morts, selon la version basse, ou 144.000 morts selon la version haute, chiffre aussitôt arrondi à 150.000. Gilbert Meynier considère que quelques milliers de harkis ont été massacrés en 1962, en précisant que «des évaluations officieuses de militaires français donnèrent 6000 à 7000 harkis tués. Benjamin Stora avance une estimation entre 10.000 et 25.000 morts. Pour Jean-Jacques Jordi, le bilan s'approcherait des 70.000 morts En 1965, le Cnmf et le colonel Schoen en particulier estiment qu'environ 20.000 anciens harkis sont en liberté en Algérie.» (8) Un bilan impossible à établir Sans remonter à la comptabilité macabre de l'invasion française et au génocide à bas bruit, il faut savoir que pendant 124 ans soit 45.260 jours d'occupation, ce sont des millions d'Algériens qui sont passés de vie à trépas. Pour la période concernant la Révolution soit en 2915 jours les estimations sont différentes selon que l'on se place du côté algérien ou français. 30.000 Français; 300.000 Algériens: c'est là aujourd'hui l'estimation la plus vraisemblable des victimes de la guerre d'Algérie. «Le bilan humain a longtemps été difficile à établir étant donné les divergences de l'histoire officielle reconnue par les deux pays. Les sources divergent beaucoup sur la question des pertes algériennes, qui sont difficiles à évaluer avec précision, faute d'une enquête réalisée dans toutes les localités d'Algérie. Selon Djamila Amrane, sur un total cumulé de 336.748 moudjahidines (132.290 maquisards et 204.458 civils), 152.863 ont été tués, valeur qui correspond sensiblement à l'évaluation du 2e Bureau. Les civils forment la majeure partie des pertes humaines des populations musulmanes. Les chiffres de un million (journal El Moudjahid, dès 1959), puis de un million et demi de morts, ont été avancés en Algérie, sans base historique sérieuse. Xavier Yacono, dans une étude parue en 1982, estime, toujours à partir des recensements, les pertes algériennes à un peu moins de 300.000 morts, bilan proche d'une estimation de Krim Belkacem (...) Les chiffres concernant les Français de métropole et d'Algérie, les «Français musulmans» et les légionnaires sont les mieux connus (JO des 4 et 7 août 1986): 24 614 militaires décédés. Sur ces chiffres, près de 25.000 militaires décédés, on dénombre environ 5000 «Français musulmans» tués dont les deux tiers étaient des appelés. En outre, on compte 65.000 blessés militaires. Pour les civils français, le total est de 2788 tués. Il faut y ajouter, après le cessez-le-feu, 3018 enlèvements dont 1282 retrouvés (déclaration de Broglie du 24 novembre 1964.» (9) Les politiciens qui en parlent n'ont qu'un retard lointain avec la guerre, ne savent pas de quoi ils parlent. Nous devons reconnaître qu'il y a eu un drame, mais quel peuple n'a pas subi dans ses gênes? Il n'est pas interdit de penser à l'immense tremblement de terre, qu'ont subi les Algériens un matin de juillet 1830 du fait de l'invasion de la France. Les répliques de ce tremblement de terre, à savoir les errances actuelles, les traumatismes et les névroses des Algériens de ce XXIe siècle seraient dus en partie au tsunami subi au XIXe siècle. La Révolution de Novembre, le dernier maillon de cette Histoire, est une Révolution qui s'inscrit dans le sillage des décolonisations rendues nécessaires par le besoin de liberté des peuples opprimés. Elle gagnerait à être connue par les jeunes Algériens à qui on a fait ingurgiter un récit incohérent où l'aspect démagogique et intolérant a pris le pas sur la vraie histoire, celle des Algériens sans distinction de race ni de religion qui ont contribué à l'indépendance, soit en payant de leur personne soit en refusant de combattre pour une cause qui n'était pas juste. 1.http://www.france24.com/fr/20160318-guerre-algerie-journee-souvenir-polemique-hollande-19-mars-sarkozy-chirac-harkis-rapatries 2.http://www.valeursactuelles.com/politique/accords-avec-lalgerie-nicolas-sarkozy-veut-mettre-fin-aux-regularisations-automatiques 3.http://www.algeriepatriotique.com/article/revelations-de-deux-journalistes-francais-quand-sarkozy-voulait-denoncer-les-accords-d-evian 4.http://www.slate.fr/story/115597/sarkozy-guerre-algerie-vote-pieds-noirs#xtor=RSS-2 5.https://francais.rt.com/france/17379-commemorations-fin-guerre-dalgerie-date-19-mars-passe-pas 6.Hélie Denoix de Saint Marc: Les champs de braise: Editions Perrin 1995 7.Nicolas Lebourg http://www.slate.fr/story/99215/haine-19-mars-1962 8.Abderahmane Moumen http://tempspresents.com/2013/09/25/abderahmen-moumen-massacres-des-harkis-apres-lindependance-algerienne-1962-1965/ 9. Guerre d'Algérie: Encyclopédie Wikipédia