Les deux pays ont confirmé leur détermination à désamorcer les mines placées sur le chemin de la coopération algéro-française L'Algérie était parmi les rares pays à avoir constitutionnalisé la liberté de la presse. «Vous ne pouvez pas dire que nous avons failli à notre devoir», a asséné Sellal. Le rendez-vous, troisième du genre, au niveau des Premiers ministres entre l'Algérie et la France, s'est tenu dans une ambiance, il faut bien le souligner, tout à fait particulière. Tant au niveau des officiels où les sourires diplomatiques sentaient le poids de la campagne de presse contre l'Algérie et l'histoire des visas, à travers les réactions mi-figue mi-raisin des ministres français et la mine très sérieuse de leurs homologues algériens, qu'au niveau de la presse où les journalistes venus dans les bagages de Valls exhibaient, à qui voulait voir, un corporatisme un peu trop étroit. Bref, cette troisième session du Comité intergouvernemental de haut niveau portait en elle les conditions de son flop. Mais ce ne fut pas le cas. La formidable pression exercée par l'épisode des visas n'a vraisemblablement pas entamé la détermination des deux Premiers ministres, ni des ministres concernés par cette grande rencontre bilatérale. Pour cause, l'agenda a bien été respecté. Plusieurs réunions sectorielles ont eu lieu entre les ministres algériens et français et «la grand-messe» algéro-française s'est tenue. L'on a ainsi assisté à la signature de plus de 26 protocoles d'accords et finalisé 12 projets économiques. Peugeot et Air Liquide, les deux «perles» de cette session verront leur concrétisation différée de quelques mois, a révélé Abdelmalek Sellal, lors de la conférence de presse qu'il a conjointement animée avec son homologue Manuel Valls. La conférence de presse, l'instant que tout le monde dans l'entourage des deux Premiers minis- tres attendait avec une pointe d'impatience, pour la simple raison que l'on craignait le fameux «clash» promis par les journalistes français, a tenu ses promesses. Débutée par une question sur les travaux de la rencontre algéro-française, la conférence a vite viré à la question des visas refusés à deux journalistes français. Un représentant de la corporation a lu une déclaration où l'ensemble des journalistes de la délégation française se solidarisaient avec leurs confrères du quotidien Le Monde et du Petit Journal de Canal+. Une attitude quelque peu pathétique, faut-il le souligner, arguant que parmi les confrères français, beaucoup reconnaissent l'indépendance et le ton critique des médias nationaux. Le Premier ministre qui attendait cette «interpellation» a rappelé le fait que l'Algérie était parmi les rares pays au monde à avoir introduit dans sa Constitution la liberté de la presse. «Vous ne pouvez pas dire que nous avons failli à notre devoir», a asséné Sellal qui a indiqué sur la question des visas refusés que «la décision a été prise tout simplement parce que ce journal (Le Monde, Ndlr) respecté et respectable, s'est permis de porter atteinte à l'honneur et au prestige de l'une des plus importantes institutions du pays, gratuitement, puisque l'information était fausse et non fondée.» Il ajoutera «on n'a pas touché à la liberté de la presse. On ne touchera jamais à la liberté de la presse, c'est un engagement solennel et définitif (...) mais il nous est tous demandé de respecter les valeurs du prochain.» Et le Premier ministre d'affirmer: «L'une de nos tâches au gouvernement est de lutter contre la culture de la haine.» Le Premier ministre s'explique en relevant que «c'est une forme de haine quelque part de porter ainsi préjudice au prestige d'une de nos personnalités». Comprendre par là que la campagne médiatique qui a ciblé le président de la République en sa qualité de premier représentant de la République est une expression de haine en direction de tous les Algériens. De son côté, le Premier ministre français s'est senti l'obligation de lier cette affaire à la volonté de son pays de promouvoir le partenariat avec l'Algérie comme un objectif stratégique et aucun incident ne l'en détournera. Une formule diplomatique pour signifier l'échec de la campagne de presse contre l'Algérie, du moins en ce qui concerne la France officielle, mais tout en ménageant le quatrième pouvoir français en soulignant: «J'ai déjà eu l'occasion d'exprimer mes regrets.» Et de finir sur une note plus responsable. «J'ai exprimé mes respects pour les raisons évoquées par Sellal. Je connais bien l'Algérie et je connais la liberté de ton des journalistes algériens.» Se tournant vers son homologue, il met en évidence que les deux hommes sont les «cibles» de la presse algérienne et française. Cela devrait remettre à sa place le représentant des journalistes français, qui apprend de la bouche de son Premier ministre que la liberté de la presse qu'il condamne est une réalité quotidienne en Algérie. Cela, avant d'exprimer son «respect, affection et soutien au président Bouteflika». La parenthèse de l'affaire des visas refusée fermée, un autre sujet autrement plus lourd a été abordé dans la conférence de presse. Il s'agit de la question du Sahara occidental. A ce propos, Abdelmalek Sellal a rappelé la position de l'Algérie, en phase avec la légalité internationale et les résolutions de l'ONU qui a inscrit le dossier sahraoui dans le cadre du processus de décolonisation. Le Premier ministre a affirmé que le sujet a été longuement abordé lors des entretiens en tête-à-tête. Il a émis le souhait de voir la position française évoluer pour permettre une solution juste et durable du conflit au Sahara occidental. Le Premier ministre français, pour ce qui le concerne, a affirmé que son pays n'a pas changé de position. Cela veut dire ce que cela veut dire, à savoir que le soutien de Paris à Rabat est encore de mise, même si Valls laisse la porte ouverte en soulignant que l'important pour son pays est que toute la région d'Afrique du Nord et du Sahel tende vers la stabilité. Y a-t-il là un message? Il est trop tôt pour le dire, bien que l'on sente une disposition de Paris à discuter la question. Au final, les deux pays ont tenu la 3e session du Comité intergouvernemental de haut niveau et confirmé à l'unisson leur détermination à désamorcer les mines placées par certains cercles sur le chemin de la coopération algéro-française. Manuel Valls a su trouver les mots pour montrer la volonté de son gouvernement, Sellal a clairement montré les lignes rouges à ne pas dépasser, deux grands projets ont vu leurs signatures différées, mais à voir le ton et la franchise des deux Premiers ministres, il y a lieu de parier que le ciel de la coopération entre Alger et Paris est redevenu bleu, comme l'a si justement souligné Abdelmalek Sellal, hier, en conférence de presse.