Inaugurée hier après-midi, à Alger, l'expo collective qui réunit 23 artistes de talent avéré est visible jusqu'au 21 mai dans la friche de ce lieu insolite. «La terre est une orange bleue», c'est ainsi que l'artiste voit le monde. C'est partant de cette citation de Paul Eluard que vous devriez faire votre parcours et «voir» les nouvelles créations de la Picturie générale III qui, bien plus qu'un étalage artistique, se veulent aussi une présentation brute de l'art en Algérie, dans son acception loin d'être exhaustive, mais assez représentative de ce qui fait le bouillonnement esthético-philosophique de nos jeunes artistes qui «font» et contribuent à «faire» et matérialiser leurs idées en objets d'arts. Ne dit-on pas que l'art est un tremplin vers l'évasion? En ce sens, la Picturie générale n'est pas un marché comme les autres, mais elle est le pendant métaphorique, désarçonné et éclaté de ce qui constitue notre monde d'où l'investissement dans ces oeuvres pluridisciplinaires d'artistes de la scène actuelle algérienne, dit-on. Aussi, vous y découvrirez pèle-mêle, achalandés, ici et là, mais aussi en haut et en bas, des installations, des vidéos et autres tableaux accrochés ou des supports suspendus. Lorsque vous pénétrez la cour du marché Volta, il y a deux choses qui attirent l'attention, les tonnes de caddies jetés là depuis des décennies (notre visite date de jeudi dernier) et puis cette fresque gigantesque signée par l'amoureux du street art, El Panshow qui donne d'emblée le ton à cette exposition qui rassemble les oeuvres de 23 artistes aux propositions et sensibilités diverses. El Panshow nous fait voir ses aspirations en deux temps, trois mouvements des mains en arrière-plan, un joint au milieu juxtaposé et puis ces trois lettres qui reviennent tel un leitmotiv en rose. «MKD, HMD.» L'artiste qui peint le mur pour échapper à la morosité ambiante de la société grise qui ligote notre jeunesse, entend lui suggérer ce «diki», comme lieu imaginaire de réclusion pour fumer son joint en toute tranquillité. Un pied de nez provocateur, mais ô combien réaliste qui témoigne du vécu de la jeunesse en manque de distractions. A l'entrée non loin de là, il y a l'oeuvre de Sabrina Dali qui vous accueille. Le titre de son travail Hekli Dahri. Ce dernier met en exergue plusieurs sculptures représentant des dos humains déclinées en couleurs, et en positions différentes. En céramique rugueuse à l'extérieur et lisse de l'intérieur, ces dernières rappellent par leurs morphologies et attitudes nos automatismes et individualités disparates dans l'espace public. Dans «ce parcours d'obstacles» les spectateurs déambulent au milieu de cette foule de sculptures suspendues à hauteur humaine. Une façon pour l'artiste d'interroger notre relation et réponse de nos comportements au milieu de cet ensemble de «nous» anonymes. Ce «nous» qui peut être n'importe qui, un médecin, un chômeur, un journalise pourquoi pas peut-être un jour devenir harraga et décider de brûler les frontières. Aussi, c'est cette idée du naufragé voyageur qu'a choisi d' immortaliser l'Homme Jaune en montrant un groupe d'individus au bord d'une chaloupe. Un grand tableau évoquant des harraga. Mais deviner où le jeune artiste a placé son tableau? Yasser Ameur nous fera savoir qu'un de ces réfugiés ou harraga lui confiera le sentiment d' être considéré comme un sous-homme. Et l'Homme Jaune de se demander alors: «pourquoi ne pas renverser la donne artistiquement parlant?» C'est ainsi que son big dessin se retrouve accroché à l'ossature métallique du plafond de cet espace. Et pour l'apprécier à sa juste valeur il vous faudra lever la tête! «Je l'ai mis au-dessus de nous...». Toujours dans l'optique de la dénonciation du désarroi amer de la société, Meriem Touimer a elle aussi accroché ses oeuvres (trois) au ciel. Trois oeuvres qui donnent l'impression d'être badigeonnées de ciment. Sur l'un est écrit «Fania» en arabe qui veut dire éphémère, sur le deuxième le mot est un peu brouillé, sur le troisième il a totalement disparu. A même le sol, le mot est reproduit à la craie. Quand le public passe et marche dessus il seffacera inexorablement. Ici, l'artiste entend évoquer la notion de consumérisme de la société et sa volubile consommation, mais aussi souligner l'éphémère de la matière. Djamel Agagnia revient quant à lui avec le concept du «code barre». Cette fois la peinture est déclinée à travers quatre tableaux avec une constante, la caricature d'un homme sur le ventre duquel est écrit «ana houna» (je suis ici). Sur le premier tableau il est montré à côté d'un barbu, sur le second à côté d'une femme en maillot, sur le troisième à côté d'un autre semblable que lui et enfin sur le 4ème à côté d'un baril de pétrole. Est-ce une façon de peindre les aspirations matérialistes et fantasmes de la société qui sont tournés en dérision par l'artiste? peut-être... Demeurant fidèle à sa critique de la violence qui peut générer de nos us et coutumes, Maya Benchikhlefgoun, s'attaque au passage de l'âge adulte chez l'enfant, partant de la pratique de la circoncision, après avoir tenu à nous parler de la nuit de noces chez la femme et son drap blanc immaculé de sang. Cette fois, les trois peintures qui composent son oeuvre montrent un petit garçon tenant par la main une personne, dans le second tableau on le voit se faire coiffer par un homme portant un tablier blanc et enfin sur un lit, de circoncision, les parties génitales dénudées vêtu d'un kamis blanc également. Toujours fidèle à son univers onirique, Mahdi Bardi Jelil se plaît à ridiculiser avec tendresse les rapports qu'entretiennent les femmes et les hommes entre eux. Aussi, le jeune artiste nous présente deux tableaux, sur l'un, une poule est assise sur un fauteuil chatoyant, les «jambes» croisées, flanquée d'ailes bigarrées, une façon de dire qu'elle fait «la belle». Sur le second, un coq qui fait presque le paon avec ses plumes hautement colorées est peint à côté d'un autre animal. Le coq fait- il lui aussi le beau devant une guenon? Va savoir! Dans un registre complètement différent est le travail de Fatima Chafa. Celle-ci, à travers son installation dénonce l'exploitation abusive des plages et leur détournement pour construire des villas et des résidences au détriment des pêcheurs à qui il ne reste que des tronçons de sable avec des sorties d'égouts pour pêcher. Aussi pour illustrer son mécontentement l'artiste a pris la peine d'immortaliser ce gâchis fait sur le littoral algérien partant de ce qu'elle connaît à côté de chez elle. A côté de photos de différents formats, trois cannes à pêche et trois miroirs flanqués au milieu d'un trou d'égout (peinturluré de noir) forment l'ensemble de son oeuvre. Des miroirs qui reflètent l'état transparent de la mer. Pas loin de là, nous pouvons percevoir le travail de Adel Bentounsi. Des photos réalisées dans le cadre d'un atelier à Amman en partenariat avec Les Ateliers sauvages. Inspiré de «les trompettes de Jéricho», l'artiste met en exergue un homme de dos, ceinturé d'un cordon d'explosifs composé d'un amas de flûte. Le nom de son travail? «fi el hawa sawa» (dans le vent ensemble). Le travail de Adel Bentounsi questionne la notion de territorialité et de frontières, entre force et fragilité sachant que la seule façon de passer en Palestine est de se risquer à mourir... A noter qu'il est difficile de parler de tous les artistes exposants. Notons qu'en tout, ce sont 23 artistes qui exposent dans cet espace alternatif des plus insolites, sis à la rue perpendiculaire de Didouche Mourad et ce, jusqu'au 21 mai. Il est bon de mentionner le reste de la liste des artistes: Hicham Belhamiti, Besatoui Arslane, Bessai Zineddine, Bouchenak Houari, Bouchouchi Walid, Bourouissa Mohamed, Cherifi Assila, Sarah El Hamed, Youcef Krache, artiste (commissaire de l'expo aussi), Serdas (Fares Yessad), Tabti Oussama et Fella Tamzali-Tahari. A visiter!