Présent lors de la rencontre avec la presse autour du film El Bahdja de Safinez sur le chaâbi, le doyen de la nouba se confie. Il est le digne héritier et le garant de la musique andalouse ayant enregistré en 40 ans, 45 CD. Un véritable trésor de notre patrimoine culturel algérien. Dans la même lignée que Mohand Fetahi, Dahmane Ben Achour, Abdelkrim Dali, Sid Ahmed Serri a, par son travail remarquable gagné à sauver par ses 50 ans d'enseignement de la musique andalouse, une partie de notre identité. Puriste dans les veines, bien entendu, il évoque ici d'autres styles de musique comme le hawzi, l'aroubi et le chaâbi... L'Expression : Vous êtes aujourd'hui présent lors de cette rencontre symbolique devant honorer un ensemble de musiciens chaâbi qui ont marqué les années 40 à 70 et ce à travers un documentaire actuellement en cours de réalisation par Safinez, El Bahdja, quelle appréciation faites-vous sur le sujet qui est d'une importance capitale devant réhabiliter également une autre part de notre patrimoine culturel et musical, qu'est le chaâbi? Sid Ahmed Serri : L'idée que la réalisatrice a eu de réunir tous les anciens, a été une excellente chose. C'est vrai que nos musiciens et d'autant plus nos vieux musiciens sont oubliés. Ils n'ont pas où se rencontrer. une chose leur manque aussi, c'est un cercle, où les musiciens pourront se rencontrer pour ce qu'il leur reste à vivre. Mais au moins que les jeunes puissent profiter de leurs expériences, et avoir des contacts avec eux. Elle a eu quand même l'idée merveilleuse de réunir tous ces anciens. Cela n'a pas été facile pour elle. Je le sais. Ces artistes ont brillé dans le passé mais ont cessé quasiment toute activité aujourd'hui. Il n'y a pas eu une perpétuité. Comment se fait la relève dans ce cas? Il y a deux choses. Elle, elle a pensé surtout au chaâbi. Il est vrai qu'ils ne sont pas nombreux aujourd'hui. Elle a essayé de regrouper tous ces musiciens chaâbi. C'était quand même assez émouvant de voir tous ces anciens se retrouver. Mais on ne peut pas dire en ce qui concerne le chaâbi, qu'il risque de se perdre un jour. Pas du tout. Il n'y a rien de plus simple. Ce sont des textes chantés. Des textes populaires. Vous prenez une kacida et vous lui appliquez l'air que vous voulez et dieu sait qu'il y a des chanteurs chaâbi. Je ne dis pas que tous ont réussi, que tous sont excellents. Il y en a quand même quelques-uns qui peuvent prétendre à un avenir dans ce domaine-là. Quel regard portez-vous sur le chaâbi moderne dit néo-chaâbi? Forcément, dans le chaâbi on est quand même assez libre d'appliquer la musique que l'on veut. C'est surtout les textes qui sont les plus intéressants, qu'on chante l'amour ou la nature ou autre chose. Par contre, à côté de cela il y a le chaâbi classique, ce qu'on appelle chez nous l'aroubi, El Hawzi, ceux-là, oui, ils sont menacés. Parce qu'il n'y a plus de chanteurs qui les pratiquent comme il le faut. L'aroubi est plus classique alors que le hawzi se rapproche davantage du populaire. Mais même là aussi il y a certaines règles à respecter. Or, ces règles ne sont pas respectées. On a tendance à mettre n'importe quoi dans cette appellation de hawzi. Donc, même le public, celui qui écoute ces musiques-là, n'arrive pas à trouver ses repères. Cependant, la musique qui est la plus menacée c'est la nouba classique. Justement, vous qui êtes spécialiste de la nouba et êtes présent aujourd'hui pour célébrer le chaâbi... Je suis spécialiste... si l'on veut. Par la force des choses, j'ai voulu apprendre la musique depuis mon jeune âge. J'ai appris cette musique-là et comme je l'ai dit, par la force des choses je me retrouve, disons au premier rang. Quand vous comptez ce qui reste comme chanteurs classiques, je crois que les doigts d'une main suffisent largement. C'est grave! Bien sûr que c'est grave. Je parle de tous ceux qui détiennent un répertoire assez riche. On y trouve actuellement des chanteuses comme Beihdja Rahal. Elle cherche, elle fouine et enregistre de nouvelles noubas pour que cela reste pour la postérité. Mais les choses se font malheureusement sans contrôle. Il ne s'agit pas de chanter ainsi librement. Il y a des règles à respecter. On ne peut pas se permettre des libertés avec le classique. Chacun chante à sa manière et apporte sa touche personnelle et des modifications se font... Vous êtes un puriste? Absolument, puisque j'appartiens à une lignée qui tient à respecter systématiquement les choses telles que cela se pratiquait avant. Mon principal maître a été Abderrezak Fekhardji. Vous avez enregistré 40 ans de musique andalouse, l'essentiel du chant andalou. Pourquoi ne trouve-t-on pas ces enregistrements sur le marché tel un coffret par exemple à l'image de ce que Beihdja Rahal vient de faire récemment? Cela ne doit pas se trouver sur le marché. Cela appartient au patrimoine. Ça doit être conservé auprès des phonothèques, des bibliothèques, des archives nationales. De plus, il faudra payer... Le studio, les musiciens n'ont pas été payés. Quand tout ce monde sera indemnisé, c'est à ce moment-là, qu'on sortira les CD.