Un soleil féroce n'est en rien comparable, en efficacité d'étourdir, à la douce clarté que l'on observe au ciel. Dans toute lecture d'une oeuvre, il y a une conduite de qualité. Comment être en lisant les «Textes, chroniques et nouvelles d'aujourd'hui» réunis sous le titre Lunes impaires de Chawki Amari (*)? Il y a quelque chose de littérairement fort intéressant mais qui incite justement à une raisonnable vigilance si l'on s'attarde sur le caractère de jeu intellectuel développé au carrefour de la sociologie, de la philosophie, de la politique et... de la géologie. Géologue formé en terre d'Algérie, chroniqueur au regard aigu du critique, dessinateur au trait sec comme un muscle exacerbé, l'auteur ramasse mille et un cailloux de son pays et les lance jusqu'au ciel. Ces cailloux sont autant d'idées enveloppées d'absurde et d'invraisemblance pour permettre à l'écrivain de dire en toute liberté ce qu'il pense de «l'Algérie et des Algériens». A-t-il tort, a-t-il raison? Comment calmer cette force qui n'accepte aucune illusion, qui ferait d'une illusion une vérité vraie et qui finalement elle-même apparaît comme une pierre (mais peut-être douce comme une pomme offerte à l'ami), une pierre dure pareille à la réalité de tous les jours dans notre pays? C'est que l'écriture de Chawki Amari est proche du verbe du troubadour, le troubadour - au sens de «tarab ed-dour», du «joueur de l'instrument rond», le bendair -, le meddah d'hier, de l'Algérie de nos ancêtres, allant dans les marchés hebdomadaires de nos villages et s'adressant au chaâb pour l'instruire, - et s'instruire auprès de lui. Les textes réunis sous le titre Les lunes impaires portent sur un sujet à la fois simple et grave et traité pour prouver quelque vérité morale, sociale et politique. Le style est allègre, le ton rapide et moqueur, les personnages (aux noms très inattendus, certains très connus, d'autres «traficotés») sont souvent des marionnettes et pleins de fantaisie, leur langage est truculent et émaillé de calembours. Il y a beaucoup de hardiesse dans le jugement de la société et de ses dirigeants parmi les plus célèbres : l'Algérie et les Algériens sont présents à chaque page. On assiste alors à des cascades de situations absurdes et, de ce fait, souvent tragi-comiques. Parfois ici et là un petit souffle, un peu de fraîcheur, un peu de poésie. On peut lire alors ces «Textes,...», et essayer de comprendre les allusions et les paraboles auxquelles a recouru Chawki Amari pour exprimer le fond de sa pensée spécialement face aux «Dix jours qui n'ébranlèrent pas l'Algérie», pour illustrer par des définitions «Les Lunes impaires du Ramadhan» ou pour faire le récit imaginaire des «Légendes et nouvelles des temps anciens»... On pourrait peut-être reprocher à l'auteur de s'être laissé submergé par sa passion de tourner tout en dérision, de n'avoir pas été jusqu'au bout de sa pensée et surtout de n'avoir rien approfondi, de n'avoir proposé aucun remède aux maux auxquels il s'est attaqué et qu'il a tenté pourtant de décrire avec précision, témérité et respect. Mais, qui ne sait que le genre littéraire choisi ici par Chawki Amari est difficile et que la sincérité dominante d'un texte caractérise toujours la bonne santé d'une littérature nationale? En tout cas, Les Lunes impaires sont d'un écrivain dont la verve et l'imagination créatrice aident le lecteur à découvrir des vérités surprenantes. (*) LUNES IMPAIRES de Chawki AMARI Chihab éditions, Alger, 2004, 233 p.