Pour fêter le premier anniversaire de leur constitution en collectif, Essabaghine, huit artistes plasticiens bien connus du public pour être à l'origine de manifestations largement répercutées par la presse, ont organisé, dimanche au Cercle Frantz Fanon de Riadh El Feth, une rencontre-débat autour de la critique d'art. Même si le thème abordé peut rebuter, Essabaghine, comme pour signaler leur engagement sérieux dans la discipline plastique, ont réuni des références en la matière pour mener les débats. Au rythme des trois communications, la gentille assistance, entre artistes, journalistes et intéressés, assistait à autant de visions de l'art. Mme Laggoun, technique, Dahou Djerbal, au mieux de sa forme, dans une étude socio-historico-psychanalytique et Djillali Abdelkrim, assurément poétique, ont fait, chacun selon son bagage, une lecture de l'art plastique en Algérie, et chacun, à sa manière, a séduit et convaincu. Nourredine Ferroukhi, l'aîné des Essabaghine, se chargera pour sa part de gérer les interventions. Mme Laggoun Nadira, professeur à l'Ecole Nationale des Beaux-Arts, ne fera pas dans la complaisance. Première à prendre la parole, elle reviendra sur l'expérience picturale algérienne, qui n'a vu le jour, en fait, que suite au passage de la colonisation française. Aoucham, premier courant, première école de l'Art réunissant des noms qui sont encore aujourd'hui sur toutes les lèvres, devait établir les fondements d'une expression picturale purement algérienne. Teinté, comme il se doit et comme il est impossible d'y échapper, d'une influence européenne forte de plusieurs siècles de vie, l'art d'Aouchem a su développer des concepts inédits. Un âge d'or de la peinture qui allait malheureusement s'estomper à la faveur d'une léthargie de la création donnant naissance à des reproductions stériles de signes et d'images. Ce qui était, à l'origine, la manifestation d'une identité artistique spécifique à l'Algérie, une rupture et un langage nouveau, devenait un ustensile vidé de son sens. Mme Laagoun fera remarquer la prolifération, pendant les années 80 et 90, des représentations de la Casbah et du Sud algérien ainsi que la redondance souvent inopportune des signes traditionnels. Paradoxalement, la décennie noire en Algérie a été artistiquement intense. Le marché de la peinture, en plein essor, affichait une grosse demande de produits «galvaudés». Mme Laggoun verra en cela le désir de retour vers un passé calme et apaisant, une sorte de refuge où il est possible de goûter au réconfort. Un peu en marge de cette profusion, une certaine classe d'artistes a choisi de s'isoler et de verser dans un art conceptuel inédit. Leurs oeuvres ont eu beaucoup de mal à s'imposer sur les cimaises. Des artistes qui se veulent porteurs d'une peinture contemporaine, dont Essabaghine fait partie, confrontent un nouveau type d'images. L'art contemporain, cette notion occidentale, est en rapport avec une attitude plastique bien définie. Mme Laggoun se demande quelle serait cette attitude en Algérie. Pour ce qui est de la diffusion des oeuvres, les intervenants notent, avec satisfaction, la réouverture de plusieurs espaces à l'exposition. Après une période où galerie était synonyme de risques, une sorte de démocratisation de l'art commence à poindre du nez, chose qui pourrait induire un amalgame néfaste, un nivellement de la qualité artistique. Daho Djerbal, directeur de la revue Naked, qui fêtera bientôt sa dixième année d'existence, intitulera son intervention «La problématique de l'art en période de crise». Pour lui, l'art est victime d'une crise commune à tous les autres domaines. «On fait tout pour fuir la pensée des choses, de l'objet. Une attitude systématique qui abouti au vide quand nous sommes confrontés à ce qui nous dérange, préférant nous réfugier dans le rituel et la forme. En d'autres termes, de l'imposture dans tous les domaines», dira t-il d'emblée comme pour signifier sa vision tranchée de la chose. L'argumentaire de Djerbal, lourd de références psychosociales, retiendra toute l'attention de l'assistance avant que celle-ci ne se fasse imperceptiblement bercer par l'incantation de Djillali Abdelkrim. Ancien journaliste accompagnant les artistes peintres dans leurs productions, il est revenu après dix années de silence à la demande d'Essabaghine. Une évocation de ce que fut la vie artistique du temps de Denis Martinez, Mesli, Baya, Khadda et Issiakhem, précède l'expression de son dépaysement au contact d'une nouvelle forme de représentation graphique: l'installation, une conceptualisation qu'il jugera théâtrale.