L'instant photographique » a coulé lentement dans l'après-midi de samedi dernier, à la salle Frantz Fanon à Riadh El Feth (Alger) Les photographies sont parées. Une soixantaine d'épreuves venues d'un peu partout du pays. Karim Sergoua, artiste plasticien du collectif Essebaghine et maître de la cérémonie, raconte celles qui lui sont parvenues le matin même depuis les horizons de Djelfa (300 km au Sud) « C'est un fellah, un vrai, qui est venu me les ramener », exulte-t-il sous la barbe. Au-delà de la plastique et de l'âme du messager, Karim Sergoua encense le symbole et le moment. Formats et démarches diverses, de l'instantané à la mise en scène, les clichés avaient pour auteurs des étudiants des Beaux-Arts, des professionnels de la presse, des amoureux du clic et des messieurs tout-le-monde. Des chiffres au lieu de légendes et de noms d'auteurs, les photographies devaient rester anonymes. L'« Instant photographique » n'était pas plus une exposition qu'un prétexte de rencontre. Le public du vernissage devait « choisir » son lauréat. « Voter », disait-on, mais à mesure qu'on le répétait on s'apercevait que le vocable véhiculait une connotation trop étrangère à l'entreprise. « Bouteflika » venait immédiatement à la tête et aux lèvres des participants, comme un écho. On a choisi de s'en passer, sans trop trouver par quoi le remplacer. Dans les coins morts de l'exposition, des photographies et des portraits au fusain de personnes disparues. Ahmed Asselah, directeur de l'École des beaux-arts d'Alger, et son fils unique, Rabah, étudiant à l'école, tués par balles dans la cour même de l'établissement, le 5 mars 1994. Anissa Asselah, l'épouse et la mère qui a porté la blessure, est partie un 13 mars 2001. Djamel Amrani, le poète et non moins membre du cabinet de l'ancien président Boumediène, disparu au début du mois. Et d'autres... Le dépouillement des voix du public en fin d'exposition a consacré un étudiant de l'École supérieure des beaux-arts, Abchiche Samir, pour un effet zoom. Le premier prix du jury a été décerné à Mahi Mahfoud Fawzi, architecte, pour une série de photos sur la Malaisie, le deuxième à Zazoua Hania, pour une composition sur poupées Barbie. Les centres culturels français et l'allemand Goethe Institute ont apporté leur contibution à cette manifestation en offrant des prix supplémentaires. Ateliers de création, workshop à destination des enfants hospitalisés, projections vidéo, concert de musique, débats et écritures, « Mars, l'Instant mémoire 2005 », étale jusqu'à dimanche prochain, dans différents points de la capitale, le Bastion 23, l'Ecole supérieure des beaux-arts et la salle Frantz Fanon, des occasions de rencontre. L'objet, au-delà de l'hommage et de la commémoration, est de « se souvenir en créant et de créer pour se souvenir », expliquent les artisans de cette manifestation, l'association Anissa culture action, le collectif d'artistes peintres Essabaghine et l'Ecole supérieure des beaux-arts.