Tantôt vindicatif ou revendicatif, l'artiste-rappeur a le verbe haut et facile... Il se dit porte-parole de personne et se considère juste comme un citoyen. Il exprime ce qu'il ressent et dénonce parfois sur un ton léger ou acerbe les douloureux maux de la société et son quotidien morose, ses contradictions sociales, politiques... Naily tantôt vindicatif ou revendicatif, a le verbe haut et de la verve. Sa plume crache la violence, va à l'essentiel, dit la cruauté, la réalité. Il accuse et ne va pas avec le dos de la cuillère. Son nouvel album Le peuple orphelin contient 19 titres dont L'absent, dédié aux familles des disparus et Peur de faire peur, dénonçant le phénomène du racisme en France, Meeting et Vote pour moi tournent en dérision le système électoral en Algérie, tandis que Monsieur Festaï est une graine de drôlerie qui fera sourciller plus d'un. L'amour et l'innocence de cet enfant que Naïli porte dans ses bras sur la pochette de l'album sont pour lui une planche de salut... Naïli, un «brave heart» de rappeur! L'Expression : Pourriez-vous vous présenter à vos lecteurs? Naïli : Je suis français d'origine algérienne. Je suis né en France à Dunkerque, au Nord. Je suis rentré en Algérie à l'âge de 6 ans, en famille jusqu'à l'obtention de mon bac. J'ai fais mes études à Djelfa mais aussi à Mascara. Entre-temps, comme je suis le benjamin, tous les membres de ma famille étaient repartis. Plus tard, je les ai rejoints pour faire mes études en France et je m'y suis installé. Cela ne m'empêche pas de revenir au moins une ou deux fois par an en Algérie. Depuis quand date votre penchant pour le rap? Depuis mon jeune âge. J'ai un frère qui était danseur. Quand il y a eu la vague hip-hop en France, dans les années 80, il dansait et même quand on était à Djelfa, il a dansé jusqu'en 88, l'année où j'ai fais une petite traversée du désert parce que j'avais un peu décroché. Au début des années 90, vu que je partis en vacances en France, cela m'a permis du coup de redécouvrir le rap et à partir de là, je me suis accroché à la musique. Je n'ai pas commencé à rapper tout de suite. En 95, j'avais vécu les premières années de violence en Algérie. Ce qui est drôle, c'est quand j'étais là je ne me rendais pas vraiment compte de la gravité de la situation. C'est à mon arrivée en France, qu'il y avait cette vie où les amis, le pays, les odeurs me manquaient. J'ai commencé à écrire de la prose plutôt que des textes de rap. A un moment donné j'ai voulu les partager. L'écriture me permettait de combler ce manque. Il me semblait que le rap était le meilleur moyen. C'était en tout cas l'expression artistique qui me permettait de me soulager le mieux. Aujourd'hui, votre second album Le peuple orphelin est sorti en France. Il sera bientôt distribué en Algérie chez Belda Diffusion. Peut-on connaître les thèmes ou les sujets que vous abordez d'autant plus qu'en écoutant certaines de ces chansons, on se rend compte que vous dénoncez pas mal de choses. Vous n'y allez pas, par ailleurs, avec le dos de la cuillère... Il y a d'abord un premier album qui est sorti ici, en Algérie, qui s'appelle Destin ou malédiction. Le second est dans le même esprit. Pour l'anecdote, quelqu'un m'a dit hier: «Vous les rappeurs, vous êtes tout le temps pessimistes». Moi, je dis que j'essaye d'exprimer ce que j'ai dans le coeur et ce que mes yeux voient. Il suffit de se promener un peu dans les quartiers populaires ou dans n'importe quel village algérien... Mais vous ne relatez que le côté «négatif»... Jusqu'à présent, je n'ai pas vu beaucoup de côtés positifs. Maintenant, suis-je parano ? Je ne suis pas quelqu'un de renfermé. Dans cet album, il y a quand même des morceaux assez gais que ce soit Jarjara ou l'amour est mort !. Ce dernier paraît un peu hardcor mais en réalité, un morceau qui a beaucoup d'humour. Cet album-là exprime toutes mes facettes, il y a de la tristesse, de la rage, de la colère, de l'humour, de l'amour. J'exprime ce que je ressens à travers les gens que je côtoie. Le problème en Algérie, c'est qu'on a souvent cette conception de la musique qui se doit d'être gaie ou de faire danser. Ce n'est pas ma conception de la musique. Il y a des gens qui savent le faire, il le faut bien, tant mieux ! Moi, j'exprime mes sentiments de façon différente. A quoi avez-vous pensé en écrivant Le peuple orphelin? C'est une image. Cela parle du peuple algérien. Mais beaucoup d'autres peuples peuvent se reconnaître dans ce morceau-là. Le thème «orphelin» est parti d'un poème de Kateb Yacine qui parle du peuple errant. Je dis orphelin par rapport à son histoire, ses droits, ses dirigeants, et sa liberté. Aujourd'hui, il ne faut pas se leurrer, on essaye de montrer une fausse image de l'Algérie. Il y a un grand fossé entre les pauvres et les gens qui se font beaucoup d'argent. A un moment donné, il y a une grosse transformation en Algérie. Je côtoie les jeunes et je constate qu'il y a chez eux une perte flagrante d'identité par rapport à leur histoire, à eux-mêmes. Cela provoque des ravages, dû notamment à la drogue dans les quartiers populaires et ce, à Djelfa ou ailleurs. Il y a une misère sociale et intellectuelle, d'où le peuple orphelin. En face, il y a des dirigeants qui, selon moi, ne font pas leur boulot. Des manifestations, il y en a partout, mais j'ai rarement vu brûler des mairies en France... Même si la France n'est pas une référence, j'ai travaillé dans des ateliers de Maisons de jeunes de quartiers et de cellules pour mineurs, je vois qu'il y a une politique sociale assez solide. On essaye de leur donner des activités, notamment par le biais de l'écriture hip-hop. Plus terre à terre. Votre nom Naïli, c'est à cause de vos origines, Djelfa? C'est par rapport à mon appartenance à la tribu des Ouled Naïl. J'ai repris ce nom par fierté et pour tout ce que ce nom peut représenter à travers son histoire, ses principes d'honnêteté, de générosité et de loyauté, de liberté et de franchise. Côté musique, au niveau habillage, qu'apportez-vous de nouveau? Nous avons choisi des directions musicales assez différentes du fait que je rappe en arabe et je parle de l'Algérie, tout le monde s'attendait à ce qu'on fasse des duos avec du raï ou avec beaucoup de samples ou de musique arabe. On a fait un peu le contre-pied. A l'exception de deux morceaux où il y a des samples en arabe. Nous avons rajouté beaucoup de soul des années 60 ou 70, la musique qui me touche. On a essayé de surprendre les gens. Il y a Dj Mourad qui a assuré les scratches et a produit le morceau Le peuple orphelin. Il est présent sur scène aussi. L'album a été mastérisé à New York par Dave Kutch, une sommité qui a eu un coup de coeur pour nous. C'est un ingénieur de référence qui a déjà travaillé avec Notorious big, Missy Elliot, Jay-z, Mary J. Blige, Whitney Houston... Pour nous, c'est une fierté. Nous sommes partis donc à New York pour 10 jours, la mecque du rap ! On était assez contents du résultat. L'enregistrement s'est fait par Diez à Dunkerque. L'album sortira quand en Algérie? Il sortira fin février chez Belda Diffusion. Entre parenthèses, j'ai choisi Belda Diffusion pour la qualité de leur travail. Ils essayent d'apporter une touche de professionnalisme. J'ai eu une expérience avec le milieu des éditeurs en Algérie, c'est un milieu d'escrocs, de profiteurs. Belda m'a proposé un contrat sérieux. Ils ont une démarche professionnelle que j'apprécie et que je salue. Côté projet, on espère partir au Moyen-Orient, en Palestine et en Jordanie, dans les Centres culturels français pour animer des ateliers et des concerts.