Pointé du doigt par le président Erdogan, Fethullah Gülen est-il instigateur du putsch ou «tête de turc» de l'homme fort de Turquie? Des centaines de généraux et de magistrats ont été arrêtés à travers la Turquie pour leur soutien présumé à la tentative de putsch dans ce qui s'apparente à une vaste purge, suscitant de fermes mises en garde de l'étranger. Devant une foule dense à Istanbul, le président Recep Tayyip Erdogan a participé aux obsèques d'un martyr du putsch dans la mosquée Fatih, promettant d'éliminer «le virus» des institutions. «Nous allons continuer d'éliminer le virus de toutes les institutions étatiques», a-t-il lancé, «hélas ce virus, comme un cancer, s'est propagé à tout l'Etat». «Le grand ménage continue», avait déclaré auparavant le ministre de la Justice, Bekir Bozdag, cité par l'agence Anadolu, à propos des coups de filet en cours. «Il y a environ 6.000 personnes en garde à vue». Le gouvernement avait annoncé samedi l'arrestation de près de 3.000 soldats pour leur rôle présumé dans la tentative de renversement du président Erdogan lancée tard vendredi. Celle-ci a avorté samedi matin après une nuit dramatique de violences ayant fait au moins 265 morts à Ankara et Istanbul. Cette purge, lancée immédiatement après l'échec du putsch, a suscité de vives inquiétudes et de fermes mises en garde de l'étranger. Le président américain Barack Obama a rappelé à la Turquie «le besoin vital» que toutes les parties concernées «agissent dans le cadre de l'Etat de droit». Le coup d'Etat raté en Turquie n'est pas un «chèque en blanc» au président Erdogan pour faire des «purges», a estimé de son côté le chef de la diplomatie française, Jean-Marc Ayrault. Des préoccupations que ne semblait par partager Vladimir Poutine qui «a souhaité un retour rapide à l'ordre constitutionnel et à la stabilité» en Turquie, selon un communiqué du Kremlin, demandant à Ankara d'assurer la sécurité de ses touristes qui commencent à y retourner après la récente normalisation des relations bilatérales. Le ministre turc des Affaires européennes, Omer Celik, a appelé hier les Turcs - mobilisés en masse avec succès par le régime pour cette «victoire de la démocratie» - à rester dans les rues. «Les messages disant +Vous pouvez rentrer chez vous+ envoyés sur vos téléphones sont le fait de soutiens de la junte. Nous sommes dans les rues. La veille pour la démocratie continue», a-t-il dit sur Twitter. La presse a salué unanimement l'échec du coup d'Etat, célébré la veille par des milliers de Turcs en liesse, notamment à Istanbul, Ankara et Izmir, dans des forêts de drapeaux rouges turcs et avec des concerts d'avertisseurs. Il a rappelé que les quatre partis représentés au parlement avaient signé samedi une déclaration commune et chanté l'hymne national, un élan consensuel exceptionnel en Turquie. Le monde des affaires et les syndicats se sont joints à la condamnation du coup. Mais le quotidien d'opposition Cumhuriyet s'inquiétait des brutalités commises dans la nuit de vendredi à samedi. «La Turquie a pris un coup», titrait le journal d'opposition, affichant en une la photo d'un homme frappant à coups de ceinture des soldats qui s'étaient rendus sur le pont du Bosphore, alors que des cas de lynchage, dont au moins un mortel, ont été rapportés. D'après la télévision NTV, 34 généraux de différents grades ont été arrêtés jusqu'à présent. Il s'agit notamment de figures emblématiques de l'armée comme Erdal Ozturk, commandant de la troisième armée, et Adem Huduti, commandant de la deuxième armée. Tôt hier, dans la ville de Denizli (ouest), le commandant de la garnison Ozhan Ozbakir a été arrêté avec 51 soldats, a annoncé l'agence Anadolu. Par ailleurs, un gradé de haut rang de l'armée de l'air, le général Bekir Ercan Van, et une douzaine d'officiers ont été arrêtés sur la base d'Incirlik (sud), utilisée par la coalition internationale pour ses raids contre les jihadistes en Syrie, a annoncé hier le quotidien Hürriyet. Le département d'Etat américain a mis en garde samedi ses concitoyens contre tout déplacement en Turquie et les vols commerciaux ont été suspendus. La purge ne se limite pas à l'armée, poursuit l'agence Anadolu, qui rapporte que des mandats d'arrêt ont été délivrés à l'encontre de 2.745 juges et procureurs dans toute la Turquie. Plus de 500 ont déjà été arrêtés, a affirmé la télévision NTV. Le nombre total des arrestations était difficile à estimer, mais l'agence Dogan a indiqué que 44 juges et procureurs avaient été arrêtés dans la nuit dans la ville de Konya (centre) et 92 dans celle de Gaziantep (sud-est). L'enquête sur le coup d'Etat raté a été confiée à des procureurs d'Ankara et les personnes arrêtées sont soupçonnées de liens avec le prédicateur exilé aux Etats-Unis Fethullah Gülen. Accusé par le président Erdogan d'avoir fomenté cette tentative de putsch, l'imam a fermement démenti. Le président Erdogan a demandé l'extradition de sa bête noire à Washington. Le ministre du Travail, Suleyman Soylu, est allé plus loin. «Derrière ce coup, il y a les Etats-Unis. Quelques magazines publiés là-bas mènent des actions depuis quelques mois. Les Etats-Unis ont l'obligation de nous livrer Fethullah Gülen», a-t-il dit. Le président Bouteflika condamne le coup de force Le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, a exprimé hier la condamnation par l'Algérie du coup de force en Turquie qui viole l'ordre constitutionnel ainsi que sa solidarité et son soutien à ce pays, dans un message adressé au président turc, Recep Tayyip Erdogan. «Mon pays ne peut que condamner ce coup de force qui viole l'ordre constitutionnel établi et qui est de nature à porter une grave atteinte à la paix et à la stabilité de votre grand pays ainsi qu'à celles de la région et à l'échelle internationale», a écrit le président Bouteflika dans son message. «C'est avec un grand soulagement que j'ai accueilli le dénouement de la crise sécuritaire que vient de connaître votre pays frère, et ce grâce à la mobilisation de ses forces vives rassemblées autour de votre personne», a affirmé le chef de l'Etat. «En cette épreuve difficile, je voudrais vous présenter, Monsieur le Président, mes vives condoléances pour les pertes de vies des hommes et des femmes qui se sont sacrifiés pour la défense de la démocratie et des institutions de la République. Le peuple turc, son gouvernement et vous-même personnellement pouvez compter sur la solidarité et le soutien de l'Algérie en ces douloureuses circonstances», a ajouté le président de la République. «Tout en vous renouvelant mon soutien et ma solidarité, je vous prie de croire, Monsieur le Président et cher frère, en l'expression de ma haute et fraternelle considération», a conclu le chef de l'Etat.