Une mission à haut risque Les signataires de l'accord de Carthage, soit neuf partis et un trio d'organisations syndicales et patronales, n'ont pu qu'applaudir à cette intronisation... Hier en fin de matinée, le président Béji Caïd Essebsi a donné corps à la rumeur en chargeant le candidat chuchoté dans les sérails politiques, Youcef Chahed, de composer le futur gouvernement d'union nationale. La Constitution lui accorde 30 jours pour cela, délai renouvelable une seule fois en cas d'échec. Depuis le 3 juin dernier, c'est-à-dire au lendemain même de la surprenante déclaration de BCE sur la nécessité de passer à une autre étape avec un gouvernement d'union national, le nom du ministre des Affaires locales circulait avec force. À 41 ans, Youssef Chahed se hisse au sommet de l'Etat, avec une réputation de technocrate, expert en agriculture. D' aucuns prétendent qu'il a été repéré par le président Essebsi et sa garde rapprochée grâce à son travail de ministre et à sa grande discrétion au sein du parti Nidaa Tounes où il a joué au funambule entre les rivalités de Hafedh Caïd Essebsi, fils de son père et néanmoins patron de la formation, et de Mohsen Merzoug, parti sous d'autres cieux, ainsi que d'autres fines lames qui n'ont pas fini d'ensanglanter la scène partisane. En fait, son parcours ombrageux résulte du lien de parenté qu'il a avec la famille Essebsi, son oncle étant le gendre du chef de l'Etat. Et ceci explique cela, les signataires de l'accord de Carthage, soit neuf partis et un trio d'organisations syndicales et patronales, n'ont pu qu'applaudir à cette intronisation, dès lors qu'Ennahda devenue le premier parti du pays après l'implosion de son rival, n'y voit aucune objection. Le parti islamiste de Rached Ghannouchi est le seul qui pourrait, le cas échéant, opposer son veto. -Mais depuis les élections législatives qui se sont tenues fin 2014, il est un cogérant enthousiaste et s'associe avec grâce à toutes les manoeuvres de Béji Caïd Essebsi, sachant qu'au final les fruits seront mûrs pour la cueillette quand le moment sera venu. Youcef Chahed a un mois plein pour constituer ce gouvernement d'union censé recadrer la Tunisie pour un lendemain prometteur. La tâche n'est pas simple. L'Ugtt et Utica, le conclave des patrons, ont poliment décliné l'invitation à y participer, bien avant le 2 juin, lorsque BCE les pressait d'en assumer la charge et... les retombées sociales! Le prochain visage gouvernemental sera-t-il vraiment différent? Une dizaine de super-ministres va entourer Chahed. De grands pôles seront constitués (économie, éducation...). Et ces super-ministres auront à gérer des secrétaires d'Etat. L'idée maîtresse de cette recomposition? Donner au nouveau locataire de la Kasbah les moyens d'agir plus efficacement, avec une équipe réduite qui aura du pain sur la planche avec le marasme socio-économique du pays. Chômage alarmant, surtout chez les universitaires, tourisme déboussolé, sécurité menacée. Trois dossiers majeurs attendent le futur Premier ministre: la sécurité, avec un terrorisme souterrain qui gangrène la société, la relance d'une économie en souffrance et la préparation d'un sommet qui se déroulera fin novembre à Tunis. Bailleurs de fonds, chefs d'Etat et institutions économiques seront conviés afin d'étudier le plan quinquennal élaboré par Yassine Brahim, ministre du Développement sortant dans le cabinet Essid. La Tunisie attend beaucoup de ce grand rendez-vous des investisseurs. BCE au cours de sa campagne électorale avait promis monts et merveilles de cet événement crucial pour le devenir du pays. Avait-il alors un oeil sur la candidature de Chahed, une manière de donner un coup de jeune au casting politique tunisien? Témoin de cette ambition devenu bientôt acteur principal, le nouvel atout de BCE aura trois ans pour réussir le pari de remettre le pays sur les rails. Mais ce ne sont ni les embûches ni les coups de Jarnac qui vont manquer sur son parcours. A commencer par son propre camp où les dégâts engendrés par le passage en force de Hafedh Caïd Essebsi auront laissé des traces durables.