Cette réforme, aux yeux du président, entre dans le cadre de la grande réconciliation nationale. Même s'il a duré près d'une année, le bras de fer qui a opposé le président Bouteflika aux partisans du statu quo concernant la condition de la femme en Algérie, vient de tourner à l'avantage des modernistes. Le conseil des ministres, qui s'est réuni hier sous la présidence du chef de l'Etat, devait en effet être consacré à l'adoption du code de la famille, mais aussi de la nouvelle loi sur les hydrocarbures. Jusqu'à l'heure où nous mettions sous presse, hier, le conseil des ministres n'était toujours pas terminé. Les deux textes, dans le cas de leur adoption, devraient déposés au niveau du bureau de l'APN afin de passer en priorité dès l'ouverture de la session de printemps, prévue le 2 mars prochain. Le président, il faut le dire, profite de la conjoncture que lui offre le règlement de la crise du Fln alors que la mouvance islamiste nage en plein brouillard avec les surenchères toujours recommencées du Msp d'une part, et les graves divisions qui minent le mouvement El Islah de l'autre. Il est à rappeler que le nouveau code de la famille introduit des modifications tout simplement révolutionnaires, toutes tirées des pratiques quotidiennes liées à l'application du précédent texte, daté de 1984, accordant si peu de place et de droits à la femme algérienne. Si les islamistes l'ont combattu farouchement, allant même jusqu'à lancer une pétition contre lui de 1,5 million de signatures, les modernistes, eux, le trouvent encore insuffisant, comparé même à nos voisins tunisien et marocain qui ont, eux, opéré de très grands changements dans ce domaine depuis quelque temps déjà. Il est vrai que tous les articles de cette nouvelle loi, attendue depuis longtemps par tous, sont étroitement liés. Cela rend très difficile toute approche détaillée, liée à des questions précises que ne cessent de soulever hommes et en Algérie, exception faite des islamistes. L'homme, véritablement gâté par cette nouvelle loi, comme s'il ne l'était pas déjà assez, ne risque même plus de subir quelque poursuite judiciaire, et encore moins d'aller en prison, dans le cas où il refuserait de payer la pension alimentaire, également prévue dans cette nouvelle loi. De fait, celle-ci dispose qu'en matière de pension alimentaire, un fonds spécial sera dégagé par l'Etat pour éviter que les enfants souffrent en cas de refus du mari de s'acquitter de ses charges, pour n'importe quelle raison. Certes, l'objectif recherché est d'éviter que les enfants soient livrés à eux-mêmes. Il n'empêche que le caractère pénal aurait dû être maintenu en plus de la mise en place de ce fonds spécial, destiné à combler les manquements des hommes divorcés. Dans un autre registre, ce texte nouveau ne met pas un terme aux terribles drames familiaux que les foyers algériens connaissent depuis l'adoption du code de la famille en 1984. En effet, les alinéas 2 et 3 de l'article 52 maintenus dans la nouvelle mouture ont compliqué les choses au lieu de les régler. «(...) Si le droit de garde lui est dévolu et qu'elle n'a pas de tuteur qui accepte de l'accueillir, il lui est assuré, ainsi qu'à ses enfants, le droit au logement selon les possibilités du mari.» Est exclu de la décision le domicile conjugal s'il est unique. L'article 39 n'a pas été amendé. Pourtant, il compte parmi les articles qui soumettent l'épouse à son mari. Ce dernier, véritable seigneur dans sa demeure, demeure, dans l'absolu, libre d'interdire à sa femme, mais aussi de lui ordonner ce qu'il veut. L'article en question dispose en effet que «l'épouse est tenue d'obéir à son mari et de lui accorder des égards en sa qualité de chef de famille, allaiter sa progéniture si elle est en mesure de le faire et de l'élever, respecter les parents de son mari et ses proches». Le cas échéant, elle est purement et simplement répudiée sans préavis. Beaucoup de travailleuses se sont vu signifier leur répudiation ou encore le constat d'abandon du domicile conjugal simplement parce qu'elles se sont rendues à leur travail. Ainsi, le droit au travail des et celui de l'instruction ne sont pas garantis et sont soumis au tuteur. Cet article vient en contradiction de celui qui instaure le contrat de mariage dans lequel les deux prétendants consignent leurs conditions chacun en ce qui le concerne. En dépit de ces constats de carence, l'instauration du contrat de mariage donne une certaine liberté de manoeuvre à ceux qui veulent s'affranchir des pesanteurs islamistes auxquelles ni Ouyahia ni Bouteflika n'ont su échapper dans leur tentative de ménager la chèvre et le chou. D'un autre côté, le nouveau texte maintient, y rajoutant même d'autres, les conditions à remplir par la femme pour demander le divorce. Des conditions, comme chacun sait, toujours impossibles à satisfaire. L'article 53, demeuré en vigueur, s'intitule comme suit: «Il est permis à l'épouse de demander le divorce par jugement dans le cas où l'époux ne subvient pas à ses besoins, à moins que l'épouse eut connu l'indigence de son époux au moment du mariage sous réserve des articles 78, 79 et 80 de la présente loi ; pour infirmité empêchant la réalisation du but visé par le mariage; pour refus de l'époux de partager la couche de l'épouse pendant plus de quatre mois ; pour condamnation du mari à une peine infamante privative de liberté pour une période dépassant une année, de nature à déshonorer la famille et rendre impossible la vie en commun et la reprise de la vie conjugale; pour absence de plus d'un an sans excuse valable ou sans pension d'entretien; pour tout préjudice légalement reconnu comme tel, notamment par la violation des dispositions contenues dans les articles 8 et 37 pour toute faute immorale gravement répréhensible établie.» L'amendement introduit à ces conditions extrêmement contraignantes consiste «à obliger la femme à prouver la séparation des corps». Le nouveau texte vient consacrer l'autorité parentale sur les enfants, ce qui est quand même une avancée notable par rapport à l'ancien texte. Ainsi, le père n'est plus l'unique tuteur de ses enfants. En cas de divorce, l'autorité parentale revient à celui des parents qui a la garde des enfants. De même, le nouveau texte introduit un amendement visant à renforcer le rôle du père en cas de divorce. Ainsi, la garde des enfants sera dévolue après la mère, non pas à la grand-mère maternelle comme c'est le cas présentement, mais au père. Le logement, lui, revient automatiquement au parent qui a la garde des enfants, ce qui est véritablement révolutionnaire, ainsi que la suppression du tutorat en tant que tel. L'autre changement intervenu dans l'avant-projet de loi concerne la suppression de la tutelle pour le mariage. Un amendement qui a déclenché l'ire des islamistes. A ce propos, le MSP, le mouvement El Islah ont tout fait pour éviter cet amendement, promettant, en désespoir de cause, de tenter de le bloquer au niveau de l'APN. Enfin, le nouvel article 53 maintient la possibilité de rachat de sa «liberté» par la femme. En cas de désaccord entre les époux, la «rançon», dit-on, ne saurait excéder la dot payée par l'époux. Le projet de loi sur les hydrocarbures, lui, est passé comme une lettre à la poste compte tenu du soutien quasi unanime dont il a bénéficié, si l'on excepte le PT, qui compte bien orchestrer une grande offensive dès la présentation de ce texte devant l'APN.