Il n'échappe à personne en Algérie et à l'étranger que le pays est sérieusement en panne d'une opposition en mesure de trouver des compromis, de passer des alliances sur des séquences limitées dans le temps ou sur le long terme, pour fédérer autour de projets politiques et de propositions d'ordre économique. Chaque opposant et chaque opposition plus ou moins organisée, chacun de son côté estime être seul à se poser comme concurrent au président Bouteflika qui ne «descend» pas même sur le terrain de la stigmatisation et de la diabolisation de ceux qui poussent les électeurs à bouder les urnes. Il sait que c'est leur droit et il ne le conteste pas. D'autres le font, foulant aux pieds les principes démocratiques et la liberté d'expression qu'ils sont censés promouvoir. A leurs risques et périls. Comment en effet un cadre supérieur sera-t-il respecté par ses administrés après le 9 avril, s'étant engagé pour un candidat contre l'instruction de M. Bouteflika lui-même quant à la neutralité des services publics ? Le wali, par exemple, est tenu au respect le plus strict du document signé par M. Bouteflika, sachant qu'il y a toujours un après-élection, une continuité de l'Etat et des liants entre la haute administration et les citoyens, qui sont pérennes.Une opposition éclatée qui se contente de slogans radicaux contre le pouvoir, espère un président mal élu, à supposer que le boycott soi largement suivi, n'offre pas pour autant des perspectives sérieuses et opératoires. Si M. Bouteflika est élu mais pas comme il l'espère, cela profitera-t-il aux oppositions ? Rien n'est moins sûr. Il aurait fallu un deal rendu public avec un programme consensuel proposé dans le cas d'un troisième mandat «boiteux», lequel programme deviendrait une alternative aux thèses de M. Bouteflika. On demande aux électeurs de déserter les bureaux de vote et ensuite «on verra», sinon Dieu y pourvoira. Ce n'est ni sérieux, ni mobilisateur et encore moins prometteur pour les élites de moins de cinquante ans, oui moins de cinquante, qui veulent s'engager, bâtir, exercer des pouvoirs et démontrer ce qu'elles savent faire dans les champs culturel, politique, économique, social, sportif, associatif, etc. Faire assumer tous les torts au pouvoir depuis 1962, sans une once d'autocritique, sans aucune «fenêtre de tir», sans présenter un front a minima, pose de sérieux problèmes politiques à tout le pays, pouvoir y compris. Si ce dernier ne fédère pas, continue à faire dans la consanguinité, c'est l'avenir qui aura toutes «les déformations congénitales», pas les hommes ou les clans.C'est en cela que la responsabilité de la seule opposition radicale (et ce n'est pas une injure), historique, sérieuse, représentée par le FFS, un parti hautement responsable, et celle plus «ronde» dont M. Mehri est la figure emblématique avec d'autres, est grande. Elle interpelle directement le futur président pour faire faire au pays et à la pratique politique un saut qualitatif. M. Bouteflika déclarait en pleine campagne que «nos rangs sont fissurés», ce qui affaiblit l'Algérie à l'extérieur, surtout en l'absence d'une ambitieuse diplomatie culturelle. Le boycott va-t-il éradiquer les fissures bien béantes et faire émerger un puissant front intérieur ? La question mériterait des réponses politiques argumentées, tournées vers l'avenir car M. Bouteflika n'est pas plus éternel que ses opposants.Un président mal élu, donc affaibli durant tout un mandat, serait dans une situation bénie pour tous les prédateurs, les rentiers incompétents et, surtout en fin de cycle biologique, politique, parfois très handicapés devant la marche du monde actuellement en mutation. Les moins de cinquante ans, surtout les moins de cinquante sans attache partisane, autonomes des appareils, seraient donc sommés de rester au congélateur parce que l'opposition ne leur offre aucune perspective, hormis le boycott, qui est un droit et non l'apostasie ou la haute trahison, et de regarder le pouvoir continuer vaille qui vaille à dialoguer avec lui-même. Dans l'Algérie de 2009, le futur président a le devoir de promettre, au-delà des aspects matériels qui ont une importance vitale pour la majorité, des réformes audacieuses pour l'exercice de la politique, l'ouverture d'un champ audiovisuel moderne et conquérant à l'extérieur, un patriotisme économique qui ferait une place aux entrepreneurs et aux élites qui réussissent à l'étranger, pour une politique culturelle libérée des tutelles bureaucratiques et de l'intégrisme qui voit des nus partout. Sans signer de chèque en blanc, à charge pour l'opposition de tenir éventuellement ses assises dans le respect de chacun et de convenir d'un cahier des charges et d'un code de l'éthique. Le pays, le pouvoir, l'avenir et les Algériens ont besoin et le droit d'avoir des alternatives, pacifiquement, dans la courtoisie. Les deux bunkers actuels font sourire à l'étranger. A charge pour l'opposition de juger sur pièce, de suivre pas à pas les promesses électorales, non pour conforter un système vermoulu et vieillissant, mais pour que, là où c'est possible et crédible, les moins de cinquante ans arrivent par vagues aux postes de commandement par des transitions pacifiques, scientifiquement planifiées sur la base du diplôme, du mérite et de l'innovation. Le boycott, aussi respectable, qui est un acte citoyen non délictueux aux yeux de la Constitution, de la démocratie, du respect dû à toutes les expressions, n'est pas la solution pour le pays en 2009. Les moins de cinquante ans veulent y aller, pas à n'importe quel prix, mais il faut que le pouvoir et l'opposition les libèrent. Le boycott est un statu quo qui fige les énergies, fait rouler des biceps et remet aux calendes grecques le dialogue vital et quotidien entre tous les acteurs politiques, culturels et syndicaux, économiques et les écoles de pensée garanties par la Constitution. Reconduire le statu quo après l'élection éloignera encore plus les moins de cinquante ans de la politique, fera le désespoir des jeunes, au profit des suceurs de budgets locaux, nationaux, des manifestations culturelles qui voient revenir des vétérans, des chercheurs de postes, de décrets rallonger les listes d'attente. Le boycott est un droit consacré. Mais cela n'interdit à personne de s'interroger sur sa pertinence politique, de s'exprimer sur la question en toute liberté sans être suspecté d'apostasie, de trahison (il y a des tribunaux pour ce genre d'exercice) pour que les moins de cinquante ans renvoient chez eux les incompétents, les hâbleurs à la criée. A. B.