A dix mois de la présidentielle française, les prétendants sortent du bois et le casting ressemble de plus en plus à celui de 2012, malgré les envies de renouveau régulièrement exprimées par les Français. L'entrée en lice lundi de l'ancien président Nicolas Sarkozy, 61 ans, battu en 2012 par le socialiste François Hollande, a encore renforcé ce sentiment de déjà-vu. S'il s'impose à la primaire de la droite, il sera le premier président à briguer un second mandat après une défaite. A gauche, l'impopulaire président Hollande, 62 ans, n'est pas officiellement candidat à sa réélection mais évoque désormais ouvertement cette hypothèse et, faute d'alternatives rassembleuses dans son camp, pourrait s'imposer comme le champion des socialistes. Pour compléter le tableau, Marine Le Pen (dont le père Jean-Marie fut cinq fois candidat à la présidentielle) portera les couleurs de l'extrême droite et Jean-Luc Mélenchon celles de la gauche radicale. Comme en 2012. Même le centriste François Bayrou pourrait retenter l'aventure. Cette «continuité spectaculaire» est une «exception française», relève l'historien Jean Garrigues. «Les hommes politiques ont un rapport oligarchique, voire monarchique à leur fonction, qui est vue comme un privilège, un statut plus qu'une mission ou une fonction provisoire». Ce phénomène est ancien: sous la IIIe République (1870-1940), un député a enchaîné les mandats pendant 55 ans, rappelle l'auteur de «Elysée Circus: histoire drôle et cruelle des présidentielles». Mais aujourd'hui «il y a un contraste terrible entre cette absence de renouvellement et le besoin de renouveau qui se fait entendre partout», note-t-il, en citant l'intérêt suscité par le mouvement transpartisan «En marche!» lancé par le jeune ministre de l'Economie Emmanuel Macron ou les débats citoyens de «Nuit debout». Conséquence de ce contraste: les candidatures de Nicolas Sarkozy et de François Hollande suscitent un rejet massif. Près de huit Français sur dix ne souhaitent pas que l'ancien président revienne au pouvoir en 2017 et 75% jugent défavorablement l'action du chef de l'Etat actuel, selon des sondages publiés mardi. Malgré ce désamour, la menace jihadiste qui pèse sur la France peut jouer en leur faveur. Le président est légèrement remonté dans les sondages après les attaques de juillet, qui ont fait 86 morts à Nice et tué un prêtre dans une église normande, grâce «au réflexe d'unité nationale», selon Jean Garrigues. Quant à Nicolas Sarkozy, dont le discours était déjà très centré sur les notions d'autorité et d'identité, il l'a encore durci. Convaincu que ces thèmes seront au coeur de la campagne présidentielle, il demande notamment de placer en rétention toute personne fichée pour radicalisation. Mais à ce jeu-là, c'est surtout l'extrême droite qui sort gagnante. «Dans chaque enquête Marine Le Pen est assurée d'être au second tour», souligne le politologue Frédéric Dabi de l'Institut français d'opinion publique (IFOP). «Elle parle très très peu. Cela lui permet de ne pas dire de bêtise et d'engranger sur le contexte où l'opinion va assez fortement en terme de préoccupations sur les thématiques majeures du Front national: insécurité, immigration, rapport à l'islam, etc...», analyse-t-il. Si le fond de son discours n'a rien de comparable avec la présidente du Front national, le favori de la primaire de droite, le maire de Bordeaux (sud-ouest) Alain Juppé, reste lui aussi un peu en retrait, préférant jouer la carte de la pondération face à l'activisme de son rival Sarkozy. Sa stratégie semble payante. Avec 48% d'opinions favorables, il reste en tête des personnalités sur lesquelles les Français portent un jugement favorable. Et paradoxalement, à 71 ans, celui qui fut Premier ministre de 1995 à 1997 et plusieurs fois ministre entre 1986 et 2012 «finit à sa manière par incarner un renouveau parce qu'il n'a jamais été président», remarque Jean Garrigues.