Un avis de justice peut-il, doit-il être interprété, ou se suffit-il par lui-même? En tout état de cause, chacun semble avoir trouvé chaussure à son pied dans le rapport de Melchior Wathelet, avocat général de la Cour de justice de l'Union européenne [Cjue], rendu public mardi dernier. Il en est ainsi du Maroc et de ses soutiens qui crient victoire, ne retenant du rapport que ce qui semble conforter leur position. Ces derniers n'ont retenu que le fait que l'avocat général propose «de rejeter le recours du Polisario» et l'annulation du verdict du tribunal annulant partiellement l'accord agricole UE-Maroc, rejetant tout ce qui ne s'accorde pas à leur lecture biaisée des attendus de l'avis de l'avocat général. Allant vite en besogne, l'euro-député français Gilles Pargneaux, se «félicite» des conclusions de l'avocat général, indiquant: «Les conclusions de l'avocat général sont claires et nettes: l'arrêt de la Cour de justice doit être rejeté. La plainte du Polisario est irrecevable. C'est la principale information qu'il faut retenir des conclusions de Melchior Wathelet» passant par pertes et profits son long rapport [79 pages]. Celui-ci est allé au fond des choses décortiquant l'ensemble des paramètres liés au pourvoi du Conseil de l'UE contre l'arrêt du Tribunal de première instance de la Cjue. Or, le point primordial mis en exergue par Me Wathelet est le fait que ni l'Accord d'association UE-Maroc ni l'Accord UE-Maroc sur la libéralisation des échanges des produits agricoles et de la pêche ne s'appliquent au Sahara occidental. Il constate que le territoire du Sahara occidental n'est pas le Maroc. Aussi, si clarté il y a, c'est ce point exprimé par l'avocat général. Selon le droit européen tel qu'énoncé par la Cjue, il n'y a pas de lien de souveraineté entre le Maroc et le Sahara occidental. Et l'avocat général d'enfoncer le clou «depuis 1963 le dossier [sahraoui] est inscrit par l'ONU sur sa liste des territoires non autonomes, qui relèvent du champ d'application de sa résolution portant sur l'exercice du droit à l'autodétermination par les peuples coloniaux». Cerise sur le gâteau, Me Wathelet ajoute «aucun des 28 membres de l'Union européenne [Ndlr, y compris la France, qui soutient à bras-le-corps le Maroc] n'ont reconnu la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental». Le reste coule de source: en l'absence de lien [de souveraineté] entre le Maroc et le Sahara occidental, l'accord conclu entre les deux parties est dès lors caduc, nul et non avenu. Ce qui explique que l'avocat général ait proposé à la cour l'annulation de l'arrêt du Tribunal ayant jugé que ces accords ne s'appliquent pas au territoire considéré. C'est cela l'essentiel, alors que le Maroc et ses amis ne retiennent que les passages consacrés au Front Polisario appuyant lourdement sur le fait que la plainte du Polisario serait «irrecevable». Que dit l'avocat général à ce propos? Dans les points 142, 143 et 144 du rapport, Me Wathelet précise «(...) Je partage en ce sens la réponse de la Cour internationale de justice à ce type d'argument présenté dans un cas analogue: «La Cour estime que le fait qu'une question juridique présente également des aspects politiques, ́ ́comme c'est, par la nature des choses, le cas de bon nombre de questions qui viennent à se poser dans la vie internationale ́ ́, ne suffit pas à la priver de son caractère de ́ ́question juridique ́ ́ et à ́ ́enlever à la Cour une compétence qui lui est expressément conférée par son Statut [...] «(...) Pour ces raisons, le Front Polisario a la capacité d'ester en justice devant les juridictions de l'Union au sens de l'article 263, quatrième alinéa, TFUE (...)» lequel conclut: «Il n'est donc pas nécessaire d'examiner si le Front Polisario a la capacité d'agir en tant que mouvement national de libération ayant la personnalité et la capacité juridiques en droit international». L'avocat général de la Cjue, est resté sur le seul plan juridique. Cela dit, on ne peut ne pas relever le fait que l'Union européenne - et ses pays membres - quoique ne reconnaissant pas la souveraineté du Maroc sur le territoire sahraoui [sachant pertinemment que ce territoire - au regard de son statut actuel - ne pouvait être impliqué dans ses accords] n'en inclut pas moins ce dernier dans les accords conclus avec le Royaume chérifien. Aussi, l'UE, ne respecte pas ses propres règles qu'elle impose aux autres. Et c'est l'UE, qui hausse le ton quant aux respect des droits de l'homme, qui ferme sciemment les yeux sur ces droits foulés aux pieds et violentés par le Maroc au Sahara occidental. Ce qu'il faut noter est que l'avis de l'avocat général de la Cjue [clarification de la donne juridique du Sahara occidental] constitue un tournant. L'UE doit en prendre compte. Dès lors, s'il y a un point à relever c'est le fait que le Maroc perd du terrain dans une affaire replacée [enfin] dans son véritable contexte: une affaire de décolonisation.