L'abrogation directe de l'article 87 bis de la loi 90-11 induirait une facture annuelle supplémentaire de 540 milliards de dinars. La tripartite de ce week-end, sans être la montagne qui accouche d'une souris, n'en a pas moins « reporté » les dossiers les plus lourds à des dates ultérieures, en vue d'être traités par une commission de suivie mise en place à cet effet. Pour s'en convaincre, il suffit juste de rappeler que tous les intervenants de ce jeudi, gouvernement compris, s'étaient entendus pour dire que le temps pressait et qu'il fallait obligatoirement mettre en application les accords attendus de cette rencontre, sous peine de payer chèrement l'adhésion de l'Algérie au Marché commun européen avant la fin de cette année, et à l'OMC tout de suite après. Ainsi, le brillant discours de Sidi-Saïd, non plus les mises en garde et sollicitations objectives du patronat, n'ont été d'aucun effet sur le pragmatisme d'un gouvernement qui cherche, avant tout, à savoir où il met les pieds, et qui refuse la précipitation même si, véritablement, le temps presse. Dans le chapitre des décisions, donc, la tripartite, dans son document final, a décidé de mettre en place un Pacte national économique et social dès le mois de septembre prochain. Un groupe de travail, également tripartite, a été chargé de plancher sur le sujet dès le début de cette semaine. La démarche en question englobe une grande partie des sujets que la rencontre avait à traiter à son ordre du jour, d'où la priorité absolue accordée à cette question, comme nous l'ont indiqué des sources syndicales hier, au sortir de la rencontre. Profession de foi Qualifiant ce Pacte de «voie nécessaire que tout le pays souhaite», les signataires du communiqué précisent qu' «il permettra à l'Algérie d'ajouter à l'atout de ses moyens actuels trois autres atouts à savoir, la cohésion sociale autour d'une démarche, la stabilité économique et sociale et la confiance des investisseurs étrangers». Il s'agirait, à terme, d'atteindre une forte croissance effective, qui ne soit plus quasi exclusivement tributaire du cours du pétrole, ce qui permettra au monde du travail de profiter, enfin, de l'embellie financière présente, laquelle demeure, jusqu'à présent, quasi «virtuelle». Ainsi, ce «socle de la cohésion» sera-t-il, comme l'explique le document final, le cadre d'une analyse nationale collective et d'identification des moyens objectifs à mobiliser pour faire face aux défis économiques et sociaux du pays. Il devra également définir avec exactitude l'apport de chacune de ces trois parties dans le développement harmonieux de l'économie algérienne, avec un partage plus équitable des ressources et produits nationaux. Le second très gros dossier, qui n'a pu faire l'objet d'un accord, a trait à l'abrogation du fameux article 87 bis de la loi 90-11. Une pareille décision aurait pu induire une hausse substantielle dans les salaires puisque le Snmg (Salaire national minimum garanti) ne serait plus calculé avec les primes sur la base des 10.000 dinars censés revenir à tous. Ahmed Ouyahia, qui a émis de sérieuses réserves, lors de la rencontre tenue à huis clos, comme nous le disent nos sources, «a souligné que l'incidence financière annuelle liée à une pareille mesure s'élèverait à la somme de 500 milliards de dinars, ce qui représente un doublement de la masse salariale publique». Sans doute le chiffre est-il exagéré, de l'avis même de nombreuses personnes consultées sur place. La même incidence s'élèverait à la bagatelle de 40 milliards de dinars pour le secteur public économique ce qui induirait, selon Ouyahia, une faillite immédiate de l'ensemble des entreprises encore existantes. Toujours est-il que sans aller jusqu'à dire catégoriquement non, au regard de toutes les concessions déjà faites par l'Ugta, le chef du gouvernement a préféré temporiser les choses en décidant, de concert avec ses partenaires, de la mise en place d'un groupe de travail commun, lequel, nous dit-on, devrait aboutir à une solution médiane avant la fin de cette année. Il s'agit, comme l'indique le communiqué rendu public en ce sens, de «dégager une solution juste pour les travailleurs, rentable pour le pouvoir d'achat et bénéfique pour le développement national, ainsi que pour la cohésion sociale, (mais aussi) de codifier objectivement cette question». Le document, qui reprend les différents avis des partenaires sur cette question, ajoute que «le gouvernement est d'avis pour que le pays revienne à l'avenir, à des normes universelles de définition du Snmg qui pourrait être supportable dans le cadre d'une politique d'évolution des salaires en liaison avec la croissance économique, la valeur ajoutée dégagée par l'employeur et l'inflation». A ce propos, Sidi-Saïd nous déclare «que le groupe de travail a toutes les chances de terminer avant la clôture de la session de printemps afin que la révision se fasse avant l'été». Il ajoute qu'«il est normal que le gouvernement prenne le temps de se pencher sur les incidences financières avant d'accepter une pareille revendication». Le document, en outre, a estimé qu'un «large consensus» a pu être dégagé. Les trois partenaires ont ainsi décidé de permaniser ce cadre de concertation par la tenue de réunions mensuelles de la tripartite. Les explications du chef du gouvernement Il a également été décidé, en matière d'allocations familiales, de revenir à la règle universelle qui consiste à faire prendre en charge les allocations familiales par les employeurs, alors que celles-ci sont actuellement à la charge exclusive du budget de l'Etat. Un délai raisonnable pour la mise en application de cette décision sera mis en place dans les semaines à venir, probablement lors de la prochaine rencontre tripartite, attendue au mois d'avril prochain. La décision a quelque peu fait grincer des dents les patrons, mais il leur était impossible d'y échapper. De même pour «les mesures coercitives que le gouvernement a promis de prendre à l'encontre de tout patron qui se rendrait responsable d'entraves aux libertés et activités syndicales au sein de son entreprise». Ici, Sidi-Saïd parle d'une véritable «révolution» puisque l'Algérie sera le premier pays au monde vivant à l'ombre de l'économie de marché où le droit syndical sera quand même intégralement préservé. Sur un autre registre, les trois parties ont convenu d'installer un autre groupe de travail tripartite pour accompagner les réformes en cours en matière de promotion du crédit à l'investissement pour qu'il enrichisse cette action par des recommandations de nature à servir l'investissement. Ici, des efforts accrus seront demandés aux banques, appelées à travailler selon les normes et aux standards internationaux afin d'accompagner le secteur privé dans son essor. La réforme financière, qui en est encore à ses premiers balbutiements, devrait connaître une accélération notable à la faveur de la visite, à Alger, du premier responsable du FMI qui, dans sa conférence de presse, avait beaucoup insisté sur cette question. Le gouvernement, les organisations patronales et l'Ugta ont en outre décidé de réexaminer et d'enrichir la législation du travail pour la mettre au diapason des normes internationales, et a recommandé, en matière de médecine de travail de renforcer significativement l'action de l'inspection du travail pour que les organismes employeurs respectent leurs obligations en matière de prévention des risques et des maladies professionnelles. Les activités informelles qui gangrènent l'économie nationale ont été mis au banc des accusés par les trois partenaires qui ont appelé à lutter davantage contre toutes les formes de dysfonctionnement de l'économie et des crimes économiques. Un récent rapport du Cnes (Conseil national économique et social), avait déjà traité de la question, mettant en exergue les graves dangers que le secteur informel fait peser sur les activités économiques saines du pays. Dans un court point de presse improvisé par le chef du gouvernement, celui-ci a mis en exergue le caractère «exceptionnel» et «novateur» de cette rencontre, qui ne ressemble à aucune de celles qui l'ont précédée. Au sujet de la représentativité syndicale, le chef du gouvernement a estimé que «l'Ugta est digne d'avoir le leadership pour parler des questions syndicales». Une manière d'emboîter le pas aux récentes déclarations du président Bouteflika. Ceci, même si du côté patronal, la porte reste ouverte au restant des organisations véritablement représentatives, comme le promet Ahmed Ouyahia. A propos du foncier industriel, M.Ouyahia a réaffirmé qu' «il n'existe pas de manque» à ce sujet. L'Algérie vit plutôt une «crise de foncier», observée dans les grandes villes seulement. Ainsi, «4500 hectares de foncier excédentaire seront mis au service de l'économie» pour «recevoir les projets d'investissement». Cette superficie viendra s'ajouter aux «7000 hectares déjà attribués mais non encore occupés». Globalement parlant, le Chef du gouvernement a surtout mis l'accent sur l'importance du pacte économique et social dont l'élaboration est prévue pour le mois de septembre 2005. Sidi-Saïd, pour sa part, a exprimé sa «satisfaction» quant aux résultats obtenus, notamment la décision d'élaborer un Pacte national économique et social en septembre prochain. Il a beaucoup insisté sur les portées positives de ce projet que la Centrale revendique depuis 1995, du vivant d'Abdelhak Benhamouda. Pour ce qui est des allocations familiales, il a indiqué qu'il était tout à fait d'accord pour qu'elles «soient prises en charge par les biens des entreprises étrangères qui viendront investir en Algérie». Quant à l'article 87-bis, Sidi-Saïd s'est malgré tout montré satisfait que le chef du gouvernement se soit montré réceptif aux doléances de l'Ugta, même si rien de concret n'est intervenu à la suite de cette rencontre.