Le talent de ce moudjahid n'avait d'égal que sa mystérieuse personnalité. Colérique, grincheux, atypique, érudit, volcanique, poète jusqu'au bout du souffle, Djamel Amrani nous a quittés mercredi à l'âge de 70 ans. La voix radiophonique de «poésie ininterrompue» qui passait régulièrement sur les ondes d'Alger Chaîne III ne retentira plus jamais. Né le 29 août 1935 à Sour El-Ghozlane, Djamel Amrani était de l'acabit d'une Anna Gréki ou de Jean Amrouche, c'était un poète de la Révolution algérienne ayant connu les affres de la torture et de la guerre. Il «trempait», lui, son courage dans l'encre et la littérature pour en faire naître des oeuvres d'une grande qualité artistique. La gouaille de Djamel Amrani n'avait d'égal que sa mystérieuse personnalité. Le moudjahid a reçu le 29 juillet dernier la médaille Pablo Neruda, du nom du célèbre poète chilien, son «maître de combat». Le 19 septembre, il recevait aussi le prix des libraires pour la totalité de son oeuvre. On notera parmi ses ouvrages le Témoin (1960), Entre dents et mémoire (1981), Déminer la mémoire (1986), Jours couleur de soleil. Depuis quelques années, on s'était habitué à l'écouter lire des extraits de poésie lors de conférences ou de rencontres littéraires en compagnie d'une autre grande dame de la radio, Leïla Boutaleb. Mais il était fait maître et avait pour disciple une jeune fille téméraire et non moins grande poète, Samira Negrouche, qui, avec le temps et l'amour des vers aidant, étaient devenus des amis inséparables, unis par la passion du verbe. Et que diable les années qui les séparaient... Djamel Amrani était vraiment un artiste. Jeune, il s'est adonné à la musique. Il était au conservatoire d'Alger. Il jouait du piano à l'âge de 15 ans. «J'étais le seul Algérien à avoir concouru avec la 5e étude de Chopin, la 7e nocturne de Gabriel Foret et puis suivra la Passionata...». Lors de la bataille d'Alger en 1957, il sera arrêté et torturé dans la villa Susini. Après sa sortie de prison un an après, il est expulsé vers la France. Après un séjour à Cuba en tant qu'ambassadeur, il officiera dans le cabinet du président Houari Boumediene. Touchant aux médias, il aura édité le journal Chaâb avec Salah Louanchi et Serge Michel et un autre intitulé Atlas avec Cheriet Lazhari. Djamel Amrani a marqué son temps. Il symbolisait l'anti-médiocrité, avec cet air sérieux qu'on lui connaît, il cachait une grande sensibilité et un grand sens de la générosité. Djamel Amrani au cours de sa vie a côtoyé d'autres grands de ce monde à l'image du «Che» ou encore des écrivains comme Nazim Hikmet, Romain Gary et Ismaël Kadaré... Entré dans les années 70 à la radio, il en sortira hier matin avec les grands honneurs qu'on lui doit puisqu'un ultime hommage lui a été rendu à l'auditorium Aïssa Messaoudi par sa grande famille de la radio avant d'être inhumé au cimetière Sidi Yahia pour le dernier voyage. Mais comme disait une fidèle auditrice d'Alger Chaîne III, hier, «Djamel Amrani n'est pas mort. Il est toujours parmi nous». Dans son message de condoléances, à la famille du défunt, le président de la République a confié son «immense tristesse [qui] a étreint mon coeur à l'annonce du rappel à Dieu le défunt Djamel Amrani». Il rappellera son âme révolutionnaire et son talent de dire son amour et son attachement à la liberté. Pour sa part, la ministre de la Culture, Khalida Toumi, a souligné le caractère engagé de cet homme de lettres et de parole qui a rejoint la résistance contre le colonialisme français à Alger où il fut arrêté en 1957. et d'ajouter: «Il a fait découvrir à des générations d'Algériens, la poésie du monde entier dite dans toutes les langues, toutes les cultures, toutes les couleurs». Elle exprimera toute sa «reconnaissance pour cet homme généreux, discret et profondément attaché à la jeunesse de son pays auprès de laquelle il n'a cessé de diffuser et faire aimer poésie, rythme, amour de l'Algérie, de son peuple, de ses paysages, de son histoire et de sa culture».