«Nous disons à nos dominateurs: l'Algérie nous appartient comme une terre doit appartenir logiquement à ceux qui la travaillent, qui peinent pour la faire produire.» «C'est notre sol natal, que de pères en fils nous fécondons de notre labeur: vous êtes venus nous déposséder, nous voler nos biens et, sous prétexte de civilisation vous nous obligez maintenant, pour ne pas mourir de faim, à trimer comme des forçats pour votre profit, contre un salaire de famine.» Ce fameux paragraphe est de Mohamed Saïl. Il a été écrit en 1924. C'est à ce grand homme que l'association Taddarth-iw de la petite bourgade de Taourirt, à Tibane, rendra un hommage particulier demain. Natif du même village, Mohamed Saïl, de son nom complet Mohand Amezian ben Ameziane Saïl, a vu le jour le 14 octobre 1894 à Taourirt. Il décède en avril 1953 à Bobigny (Paris). Il était tour à tour chauffeur mécanicien, réparateur de faïences, militant anarchiste et anarcho-syndicaliste et volontaire dans le groupe international de la colonne Durruti durant la guerre d'Espagne. Arezki Saker et Hadjab Ameziane, président de l'association organisatrice se démêlent depuis quelques jours pour une action commémorative, qui n'a de valeur que de rappeler à beaucoup de gens que la vallée de la Soummam et ses hauteurs ont enfanté des hommes que l'Histoire retiendra à jamais. Une stèle à l'effigie de cet illustre personnage sera inaugurée demain. Elle sera appuyée par une table ronde animée par une pléthore d'hommes de lettres, syndicalistes et universitaires, qui auront l'occasion de visiter le domicile familial de Mohand Ameziane et de se recueillir à sa mémoire. Pour rappel, Mohand Ameziane Sail fut l'un des militants anarchistes et indépendantistes, un militant engagé de la première heure. En 1923, il lance avec Slimane Kiouane, le Comité de défense des indigènes algériens. Durant la Première Guerre mondiale, il est interné pour insoumission puis pour désertion. Entre 1924 et 1926, il écrit en Algérie dans Le Flambeau où il dénonce le colonialisme et le Code de l'indigénat, et appelle les Algériens à l'instruction, à la révolte et à «rejoindre les groupes d'idées avancées». En 1929, il créa le Comité de défense des Algériens contre les provocations du Centenaire. La France s'apprête à célébrer le centenaire de la conquête de l'Algérie (5 juillet 1830). L'ensemble du mouvement anarchiste dénonce le colonialisme: «La civilisation? Progrès? Nous di-sons nous: assassinat!». En 1930,il adhère à la CGT-SR, dans laquelle il crée la Section des indigènes algériens, le mouvement anarchiste reprend sa campagne contre le colonialisme. En janvier 1932, installé à Aulnay-sous-Bois, il est le gérant du journal local L'Eveil social, qui paraît de janvier 1932 à mai 1934 avant de fusionner avec Terre libre. Après le coup d'Etat des 17 et 18 juillet 1936 et le début de la Révolution espagnole, Saïl, alors âgé de 42 ans, rejoint les Brigades internationales. Il devient le responsable du groupe. Le 21 novembre 1936, en mission de reconnaissance, il est blessé au bras par une balle explosive à cent mètres des lignes franquistes. Hospitalisé à Barcelone, il regagne Aulnay en janvier 1937. Mutilé, il doit désormais exercer le métier de réparateur de faïence. Le 17 mars 1937, il participe au meeting organisé à la Mutualité par l'ensemble des organisations de la gauche révolutionnaire, pour protester contre l'interdiction de l'Etoile nord-africaine, conduite par Messali Hadj, et contre la répression des manifestations en Tunisie qui a fait 16 morts. En septembre 1938, il est condamné à 18 mois de prison pour distribution de tracts. Une année plus tard, pour le même motif, il est arrêté et interné. C'est au cours de cette arrestation que sa bibliothèque est saisie, puis dispersée. En 1941, il aurait été détenu au camp de Riom-ès-Montagnes (Cantal). Il aurait par la suite participé à la fabrication de faux papiers pour les compagnons recherchés. Dès la Libération, Saïl reconstitue le groupe d'Aulnay-sous-Bois et essaye de reformer des comités d'anarchistes algériens. Il tient dans Le Libertaire une chronique de la situation en Algérie. En 1951, il est nommé responsable au sein de la commission syndicale aux questions nord-africaines. Il produit une série d'articles sur «Le calvaire des indigènes algériens». Mohamed Saïl meurt à la fin avril 1953 à l'l'hôpital franco-musulman à Bobigny et est inhumé au cimetière musulman de Bobigny7. Georges Fontenis prononcera son éloge funèbre lors de ses funérailles le 30 avril 1953. Les villageois de Tibane lui rendent hommage ce vendredi pour «mettre toute la lumière sur le parcours de ce grand monsieur que bon nombre de personnes ignorent», explique sur sa page Facebook Hadjab Ameziane, président de l'association Taddarth-iw.