La «total war» contre l'islamisme - en fait, contre les musulmans - a été un cuisant échec pour Washington. Les chefs d'Etat et responsables du monde entier, réunis à Madrid dans une conférence qui essaye de gérer, en même temps, lutte antiterroriste, démocratie et droits de l'homme, font un effort d'imagination louable pour concilier l'inconciliable. Depuis la fin de l'année 2001, le monde connaît, à la faveur d'une «guerre mondiale contre le terrorisme», plus de restrictions dans les libertés, plus d'appréhensions quant à de nouvelles attaques terroristes et - surtout - plus de rigueur envers le faciès arabe et la religion musulmane. Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, les Etats-Unis ont déclaré une «total war», une guerre totale contre le terroriste. Audacieux, les chefs de guerre américains ont donné un nom au terroriste: l'islamiste. En un mot, tout est dit. La guerre-spectacle venait de commencer, et Ben Laden, Zawahiri, Zarqaoui et tous les leaders d'Al Qaîda et les groupes djihadistes transnationaux allaient participer au bras de fer douteux qui les opposait à Washington et à la guerre sans merci que Bush allait lancer contre le nouvel axe du mal, l'islamisme salafiste. La conception militaire des Etats-Unis avait au moins le mérite d'être claire et de s'attaquer à tout ce qui peut ressembler à un islamiste actif. Souvent, le flou est délibérément entretenu, et les musulmans dans leur globalité étaient assimilés aux intégristes et autres fondamentalistes (à ce jour, personne n'a été en mesure de délimiter le contenu de ces qualificatifs). Plus de 75.000 musulmans avaient été interpellés, et beaucoup d'entre eux incarcérés envers et contre toute procédure judiciaire qui prendrait en compte le droit des accusés. L'Espagne - en fait, l'Europe plus généralement - n'a pas adopté la même attitude. Après le 11 mars et les attentats de Madrid qui ont fait près de 200 morts, l'Espagne a cherché les coupables, et uniquement les coupables, et les a trouvés, même si quelques innocents, injustement suspectés ont fait les frais d'une tendance sécuritaire gravement restrictive. La conférence de Madrid a eu le courage de chercher autre chose que ce que Washington a proposé, tout en essayant de dissocier l'Islam du terrorisme. Trouver l'alternative à la solution «à l'américaine» qui a largement démontré son inefficacité, pire, sa nuisance. Car en fait, de «total war», Washington n'a fait qu'étendre le champ d'action du terrorisme, donner le cachet de légitimité aux salafistes radicaux en guerre contre les «nouveaux croisés» et permis au djihad islamiste de recruter dans toutes les couches sociales à satiété. Plus proche de l'Islam, l'Europe tente de comprendre mieux un phénomène qui lui échappe et se donne le temps de gérer une crise planétaire sans pour autant écorner les droits de l'homme. Et le vrai constat que l'Union a fait, c'est l'inanité de la politique américaine en matière de lutte antiterroriste. Le président en exercice de l'Union européenne, M. Jean-Claude Junker, a déploré, jeudi à la conférence sur le terrorisme de Madrid, l'insuffisance des résultats de la lutte antiterroriste et prôné la «solidarité internationale» dans ce domaine. Au cours de la Conférence internationale sur le terrorisme, la démocratie et la sécurité, le président en exercice du Conseil européen, connu pour son franc-parler, a rappelé les acquis de l'UE, mais, a-t-il regretté, l'Europe «est loin des résultats (qu'elle) devrait avoir». Le Premier ministre du Luxembourg a estimé qu'il s'agit surtout de lutter contre les raisons qui sont à l'origine du terrorisme: la pauvreté, le désespoir, sont autant de terreaux où se recrute le terroriste. L'UE, a-t-il rappelé, a fait de la lutte contre le terrorisme «une des premières priorités». A cet effet, a indiqué M.Jean-Claude Junker, l'UE s'est dotée d'une définition commune du terrorisme, a créé un mandat d'arrêt européen et a intensifié la lutte contre le financement. Le Club de Madrid, qui veut s'affirmer comme une alternative crédible et humaine à la fois à la solution proposée par Washington, au lendemain du 11 septembre 2001, joue gros en tentant de gérer et, en fait, maîtriser menaces terroristes, droits de l'homme et démocratie, car il n'y a aucune référence en la matière dans l'histoire contemporaine. L'Algérie qui, en six ans, est en train de passer de la concorde civile à la réconciliation nationale à l'amnistie générale, peut aujourd'hui jouer son rôle et exposer sans complexe son expérience. Le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, peut à loisir et sans crainte d'être contredit se glorifier de la gestion de la crise, née et circonscrite bien avant septembre 2001. La solution militaire et sécuritaire a été menée simultanément avec des démarches politiques d'apaisement, et si aujourd'hui le leader de l'ex-FIS, Abassi Madani, affirme qu'il est «injustifié de prendre encore les armes après l'amnistie générale», c'est parce qu'il y voit le dernier pas qu'on peut politiquement et humainement faire en faveur de l'apaisement.