Au Machrek, au Maghreb, dans la vallée du Nil et les pays du Golfe, on assiste épisodiquement à une montée en puissance des groupes radicaux locaux. La victoire sans partage du Hamas a suscité appréhensions et craintes chez les observateurs politiques les moins avertis. Mais pour ceux qui ont suivi depuis plusieurs années, disons depuis les événements du 11/9, le retour «sur la pointe des pieds» de l'islamisme politique, cette victoire du Hamas, s'inscrit dans une logique de «résistance islamiste généralisée», née, justement, à partir de la poussée hyperhégémoniste américaine et du sentiment exacerbé des populations musulmanes d'être principalement, et à nouveau, ciblées par un élan néo-colonial qui s'est formé déjà avec l'invasion contre l'Afghanistan, contre l'Irak ensuite, puis les menaces quasi constantes qui pèsent contre l'Iran et la Syrie. La prise de pouvoir «très soft» des islamistes en Turquie est passée avec un maximum de réussite et un minimum de heurts avec les autres tendances politiques, et cela a été apprécié autant par Washington que par les capitales occidentales . En Egypte, la montée en puissance de la confrérie des frères musulmans, malgré une forte répression des autorités, s'est passée selon un processus démocratique correct. En Jordanie, en Arabie Saoudite et au Koweït, les chefs islamistes locaux, appuyés par une base électorale consistante, se sont infiltrés dans tous les rouages du pouvoir. Au Maroc, les islamistes prennent eux-mêmes du recul afin de ne pas apparaître hégémoniques et laisser les autres tendances prendre pied sur l'échiquier politique. En termes clairs, il s'agit là d'un développement qualitatif remarquable de la part des islamistes au plan de l'exercice du pouvoir. Consciente de l'enjeu, Washington compose avec les islamistes turcs, prend contact sur contact avec les Frères musulmans, et composera certainement avec le Hamas. L'essentiel reste le fait de respecter les engagements internationaux, et là, chacun est en train d'attendre l'autre au tournant, et les islamistes sont très au fait de ce qui les guette ici. Washington note avec intérêt que sa «total war» n'a pas abouti à l'échec de l'islamisme politique dans le monde. Loin s'en faut. En Irak, c'est pratiquement la guérilla sunnite djihadiste qui mène les combats, et les chefs militaires américains sont arrivés à l'idée d'aller composer directement avec eux, même si quelques mois auparavant, ils les traitaient de «terroristes». Causes-effets, actions-réactions : le monde évolue avec la même logique depuis les temps bibliques. Et la poussée islamiste dans le monde répond en réalité à une poussée occidentale de la même ampleur. Concernant la victoire du Hamas proprement dite, il y a aussi lieu de dire que cette victoire a étonné les propres militants du mouvement. Selon Le Figaro d'hier, les téléphones portables des chefs du Hamas sont restés fermés. En réunion une partie de la journée, la direction du mouvement islamiste examinait la nouvelle donne. «Le Hamas est sous le choc», dit Raji Sourani, militant des Droits de l'homme à Ghaza. «Il ne s'attendait pas à pouvoir gouverner seul, et n'en a pas la volonté», poursuit un diplomate. C'est le paradoxe de ces élections. Les islamistes héritent de la lourde responsabilité de l'avenir de 3 millions de Palestiniens dont une partie vit encore sous occupation israélienne. Au lendemain de sa victoire, le mouvement islamiste campe toujours sur ses dogmes : pas de reconnaissance d'Israël ni de modification de son texte fondateur, et refus d'engager le dialogue. Mais rien n'interdit à d'autres de discuter avec l'ennemi, et la tentation est grande de laisser cette tâche à Mahmoud Abbas. Mais la plupart des ténors du Fatah se sont déjà placés dans l'opposition, et refusent de siéger dans un gouvernement dirigé par le Hamas. «Laissons-les maintenant faire leurs preuves», répète Nabil Chaath ou Saëb Erakat, finalement pas si mécontents de se retrouver en position d'arbitres. Au siège du mouvement à Ghaza, les mots d'ordre restent «prudence et patience». Pas question d'effrayer qui que ce soit, alors que les islamistes tiennent à partager le pouvoir pour ne pas devoir en assumer seul un éventuel échec. Leur priorité gouvernementale va à la remise en fonction de la justice. «Les jugements rendus ne sont pas appliqués à cause de pressions. Cela doit changer !» dit le porte-parole du Hamas, qui élude les questions sur l'imposition de la charia, la loi islamique. Mais ses dirigeants n'ignorent pas que les Palestiniens sont plus traditionnels qu'intégristes sur le plan des moeurs. Soucieux de rester populaire, le Hamas ne commettra sans doute pas non plus l'erreur d'imposer le voile, et continuera plutôt d'imposer peu à peu sa marque dans le domaine social. Des résistances pourraient apparaître dans certaines villes de Cisjordanie, comme Ramallah et Bethléem, où la minorité chrétienne s'inquiète déjà. Les dirigeants du Hamas sauront-ils, et vite, transcender leur discours interne et offrir à l'extérieur une vision politique homogène du monde qui les entoure, offrir un visage «fréquentable» et faire oublier qu'il figure encore en bonne place dans la liste noire des groupes terroristes dans le monde? Toute la question est là...