Après l'indépendance, des grincheux ont voulu faire un procès au grand homme! Mais Feraoun était déjà inaccessible. Il y a quarante trois ans, le 15 mars 1962 à moins d'une semaine du cessez-le-feu, tombaient sous les balles assassines des commandos Delta de la sinistre OAS, des Algériens de renom et de valeur. Parmi eux Mouloud Feraoun, Ali Hamoutène et bien d'autres. L'Algérie en marche vers l'indépendance, recensait alors et quotidiennement des morts, des citoyens triés sur le volet par les commandos de desperados voués au crime et au nihilisme. Mouloud Feraoun, ce fils du pauvre, était tombé alors que le pays et l'humanité avaient encore besoin de son apport. Il était arraché à l'amour de sa famille et de son pays à l'aube de l'indépendance. Ce 15 mars 1962, ils étaient cinq hommes, qui avaient foi en ce pays et qui, longtemps, ont combattu avec leurs armes, les seules qu'ils connaissaient : la plume et l'amour, pour l'instauration de la paix dans la dignité retrouvée. Feraoun était aussi grand qu'il était réservé et se tenait loin de la rampe. Cet homme comme disait alors Germaine Tillon: «Bon comme le pain», était tombé victime de la haine des hommes, plutôt victime de la meute de loups qui pensaient que l'assassinat allait arrêter la roue de l'histoire. L'auteur du Fils du pauvre était un écrivain fécond. Il décrivait avec amour la vie au village en Kabylie. Un village qui ressemble un peu à celui où il a vu le jour et grandi et même exercé en tant qu'instituteur. De cette vie, il en connaît les bons et difficiles moments. Il est vrai qu'il faut toujours gravir les chemins qui montent pour se rendre chez Ameur N'Ameur et vivre un instant avec Madame, cette parisienne transplantée à Ighil N'Ezman. De cette vie, il nous a rapporté un bouquet de traditions qu'il a su nous faire parvenir dans La terre et le sang. Une terre aussi généreuse qu'ingrate, une terre dure et âpre où la vie est chiche et difficile. Mais Feraoun sait la regarder avec tendresse et amour et nous en faire voir les joies cachées, simples et combien belles. Il est aussi, à la façon des auteurs grecs anciens, un conteur de talent et sans rien cacher de la rigidité des hommes et des drames inhérents à cette vie, a su nous rapporter des bribes d'amour arrachées à la dureté de l'existence. Feraoun a su s'échapper au village et embrasser dans ses moments les plus durs, la vie en Kabylie. C'est ainsi qu'est né Jours de Kabylie. Un almanach des temps difficiles qu'il a vécu d'abord à Larbaâ Nath Irathen et à Alger ensuite. Feraoun ne s'arrêta pas à la description de ces temps difficiles de la guerre et de l'occupation mais s'est ressourcé aussi aux temps anciens de jadis en partant à la collecte des poèmes de Si Muhend le barde errant qui a laissé de si belles poésies à la postérité. Près d'un demi-siècle plus tard, ses oeuvres, aujourd'hui, sont traduites en plusieurs langues et la Kabylie, dure, belle, austère est connue tant en pays anglophone, qu'ailleurs. A Berlin, à Paris, à Ottawa ou à New York et aussi à Damas et au Caire, on connaît désormais le fils du pauvre et on goûte à la terre et au sang. Aujourd'hui, grâce aux oeuvres de cet ancien instituteur sorti de l'Ecole normale de Bouzaréah, un pan de l'histoire de ce pays est sauvé et toute une région sortie de l'oubli. Aujourd'hui, Fouroulou repose dans un petit coin du cimetière des Aït Mahmoud face à ce qui était l'ouvroir des soeurs blanches. En l'absence des autorités, les petites gens et les gens de culture affluent, pour, de temps à autre, fleurir la tombe du grand homme. Un homme devenu grand car ayant toujours cherché à être humble parmi les humbles. Après l'indépendance, des grincheux ont voulu faire un procès au grand homme! Mais Feraoun était déjà inaccessible, il devint impossible à atteindre. De sa stature de géant, il éclaire les chemins qui montent, ceux de l'effort et du dévouement. Repose en paix, Fouroulou, tu as fait ta part et même la meilleure part!