Les idées les plus simples commencent comme ça. M'Barek-Malek Serraï est un peu ce qu'on peut appeler un messager de la paix. En préambule à notre discussion à bâtons rompus, il a employé plusieurs fois le mot paix. Alors, nous lui avons demandé de nous dire ce qu'il entendait par ce mot. Quand je parle de la paix, dit-il, je veux parler de la paix d'abord avec soi-même, la paix dans son esprit, dans les structures, la stabilité et la sérénité de la justice, pour que le citoyen retrouve la confiance, la sécurité dans son existence de tous les jours et donne enfin un sens à sa vie, pour qu'il s'inscrive dans l'ordre des choses, pour ne pas perdre de vue la raison pour laquelle il travaille. La paix concerne l'individu et la société toute entière, pour évoluer dans la sérénité la plus totale, un assainissement de l'environnement le plus immédiat, sans lequel on ne peut espérer une vie normale et le bien-être quotidien. La donne est la suivante: nous sommes un peuple qui a beaucoup souffert tout au long de son histoire récente. Il y a eu le colonialisme, la guerre de Libération, le désenchantement de l'indépendance, mais surtout toutes les affres et la violence de la décennie 90 . Il y a eu d'abord un malentendu politique, puis sécuritaire. Le choix du modèle de société s'est posé avec beaucoup de force et de turbulence. En 1962, l'Algérie était une jeune nation qui a manqué d'expérience et de recul pour gérer tout cela et éviter le drame. On a substitué l'affrontement au dialogue, la guerre à la paix, et le pays a payé le prix fort: 150.000 morts, 30 milliards de dollars de dégâts, et la nation a été touchée dans sa chair, dans ses institutions, dans ses symboles et ses valeurs les plus profondes. A partir de là, dit M.Serraï, on peut mesurer l'impact de la paix sur le reste, sur le programme de développement, sur les relations internationales, sur la nécessité de ramener les Algériens vers eux-mêmes, pour «purifier les coeurs!» A partir de là, on peut regarder vers l'avenir, les yeux ouverts. Bien sûr, cela a l'air d'une incantation, mais les idées les plus simples commencent comme ça, par une incantation, puis elles finissent par se frayer un chemin, par s'imposer à tous. «Le 17 janvier 1994 (conférence nationale de la concorde), j'avais fait un appel. En disant que seul le pardon entre nous pouvait arranger les choses». A l'époque, c'était le dialogue des armes qui avait été favorisé, puis il y eut les élections présidentielles anticipées, et quand le président de la République a appelé en janvier 2000 à la concorde civile, M.Serraï a été content. «Quand j'étais conseiller à la présidence en 1996, beaucoup de personnalités de l'ex-FIS m'avaient saisi pour une tentative de conciliation, j'avais établi une liste de personnalités civiles et militaires éprises de paix. La démarche était discrète. J'avais rencontré beaucoup de gens, j'avais ruminé toutes ces idées. Mais la démarche n'eut pas de suite à l'époque. La situation n'était pas mûre. Peut-être que j'étais en avance. Peut-être que je n'étais pas dans l'engrenage, les réalités du terrain et de la lutte antiterroriste. Mais je croyais dans la paix.» Et puis, quand le président Abdelaziz Bouteflika a fait son appel, M.Serraï a senti que son voeu avait rencontré l'écho qu'il fallait. Le pays pouvait enfin entamer le travail de mémoire et de pardon pour refermer les fractures, soigner les blessures.