Se faire tirer les cartes, lire les lignes de la main ou encore le fond d'une tasse de café qui garde encore les traces d'un marc de mauvaise qualité, est devenu une façon de se rassurer, de s'armer pour l'avenir et de se prémunir contre les coups imprévus d'un sort toujours imprévisible. A Oran, c'est devenu une tendance, un air du temps. Faire une virée du côté des diseuses de bonne aventure n'est plus une tare qu'on cache. On le reconnaît et on l'assume. «Ce n'est point de la sorcellerie», dira Saïd qui reconnaît recourir de temps à autre, quand le moral est au plus bas, aux services d'une chiromancienne du quartier de Saint Pierre où elle jouit d'une certaine réputation que vantent des promoteurs choisis parmi par ses connaissances. Dans le temps, les femmes constituaient le gros de la clientèle de ces commerçants d'un autre genre. Mais avec la période de récession économique vécue à la fin des années quatre-vingt, la tendance a changé. A nouveaux temps, nouvelles moeurs, et voilà la chiromancie, partie pour devenir une pratique qui ne rebute plus, qui se pratique dans tous les coins de rues et même dans certains salons feutrés d'une certaine classe sociale. Des femmes venues du Maroc et de certaines localités de l'Algérie profonde vantaient leurs mérites et leurs pouvoirs. Elles brassaient une clientèle hétéroclite, bigarrée composée d'illettrés, d'intellectuels, de riches, de pauvres. Un véritable phénomène de société s'installait à petites touches sans qu'il ne bouscule les convictions et les coutumes. Même l'apparition du terrorisme et les massacres commis contre des voyantes, des talebs et autres médiums n'ont pas réussi à le faire disparaître. A M'dina J'dida, à Saint Pierre, à Seddikia et même dans les villas cossues de Saint Hubert, on y a recours. On se rencontre en réunion pour solliciter les services de tel taleb ou de telle tireuse de cartes. «Ce ne sont plus les vieilles filles qui vont solliciter une date pour se marier ou un mari pour fuir le célibat. Ça fait rétro, c'est tout juste une façon de trouver une écoute, une oreille attentive», diront des enseignants universitaires qui ont déclaré recourir de temps à autre aux services de certaines chouafates.