L'attentat de jeudi, en plein coeur du Vieux Caire, relance le débat sur l'urgence des réformes. Trois morts, deux touristes américains et une française, et 18 blessés, tel a été le premier bilan, selon les autorités égyptiennes, de l'attentat perpétré jeudi, en plein coeur du Vieux Caire, au marché de Khan Al Khalili, près de la mosquée d'Al Azhar. Cet attentat, le premier accompli cette année, vient après le massacre de l'hôtel Hilton de Taba (Sinaï égyptien), en novembre 2004, lequel s'est soldé par la mort de 34 personnes, dont plusieurs touristes israéliens, et 115 blessés. De fait, cet attentat, revendiqué par un groupe jusqu'alors inconnu, «Les Brigades islamiques de la fierté en Egypte», intervient à un moment crucial, en Egypte, marqué par le réveil de la société civile et de l'opposition démocratique qui réclament de véritables réformes en Egypte et non pas la pseudo-ouverture en direction des partis politiques, initiée par le président Hosni Moubarak. Ouverture jugée discutable et insignifiante par les Frères musulmans - qui retrouvent quelque peu leur aura d'antan - et surtout par le mouvement de la société civile, Kefaya (Barakat) qui a organisé, une première en Egypte, des manifestations de masse exigeant de vraies réformes, l'amendement de la Constitution et la levée de l'état d'urgence, institué en octobre 1981 après l'assassinat du président Anouar Al Sadate. De fait, les deux dernières décennies ont été marquées en Egypte par une vague de violence islamiste, notamment dans les années 1990, laquelle a fait plus de 1500 morts. Aussi, l'attentat de jeudi, estiment les observateurs, peut influer négativement sur l'ouverture, même timide, que tente le pouvoir, en le confortant, a contrario, dans sa politique de la main de fer. Le groupe qui a revendiqué l'attentat indique dans un communiqué diffusé sur un site Internet islamiste: «Nous, Kataëb al-Ezz al-Islamiya fi bilad al-Nil (Brigades islamiques de la fierté en Egypte), sommes entièrement responsables de l'explosion d'Al-Azhar au Caire (...) le jeudi 7 avril 2005 au soir». Le même communiqué précise que son action visait à «venger nos frères, des martyrs de l'injustice, et les détenus» et à «prouver au président égyptien (Hosni) Moubarak qui parle de (cellules) dormantes, qu'il y a aussi des moudjahidine aux aguets contre lui et ses semblables». Le groupe indique également vouloir se «se venger de l'Amérique et de toutes les autres forces coloniales pour nos frères musulmans opprimés qu'ils soient en Irak, en Palestine ou ailleurs en terre d'islam ensanglantée», et promet pour l'avenir d'autres attentats. Dans les années 90, c'était les «Jamaiyat islamiya», qui faisaient régner la terreur, qu'ils étaient responsables, de la majorité des attentats commis durant cette période, avant qu'ils ne renoncent, en 1998, à la violence. Ce qui, effectivement, amena un certain calme au pays du Nil. Les Frères musulmans et le mouvement pour le changement, Kefaya, ont immédiatement condamné vigoureusement cet attentat. De fait, le mouvement Kefaya a fait état de sa «franche condamnation» de l'attaque, indiquant que le «changement démocratique pacifique est la seule issue à la crise vécue par la société égyptienne». De leur côté, les autorités égyptiennes ont minimisé cette opération insistant sur son «caractère isolé». Il est vrai que de tels actes sont mal venus car ils vident le pays du Nil des touristes dont les rentrées financières restent indispensables pour l'Egypte. De fait, le mouvement Kefaya «met en garde contre l'exploitation de ce genre d'incidents criminels dans des tentatives désespérées pour prolonger la durée de la répression (...) ou de l'utiliser comme prétexte pour prolonger l'état d'urgence et entraver le processus du peuple égyptien vers la démocratie». Aussi, la crainte unanime exprimée par la société civile en Egypte est que ce retour impromptu à la violence, donne encore des arguments au pouvoir pour maintenir le statu quo, que les autorités sous prétexte d'assurer la sécurité, refusent la levée de l'état d'urgence et continuent de réprimer les manifestations, comme elles le firent le 27 mars en empêchant une marche des Frères musulmans. Le retour aux libertés est devenu un leitmotiv, ces derniers mois, pour les Frères musulmans et le mouvement Kefaya, lesquels réclament l'abrogation de l'état d'urgence et la suppression des tribunaux d'exception, la réduction des pouvoirs du président de la République et la limitation des mandats présidentiels à deux de quatre ans au lieu d'un nombre illimité de six ans, selon la Constitution en vigueur. Ils demandent également l'amendement en profondeur de la loi fondamentale qui doit garantir, selon eux, les droits de l'homme, les libertés collectives et individuelles, la liberté de la presse et d'expression. Demandes qui se sont, jusqu'ici, heurtées, à un «niet» sans appel. Le président Moubarak, qui est candidat à sa propre succession, et pour un sixième mandat consécutif, a certes lâché du lest. Il a en effet demandé au Parlement d'amender la Constitution dans le sens de permettre une élection présidentielle pluraliste, mais cette concession apparaît pour l'opposition comme une espèce d'os à ronger, sans réel impact sur le futur démocratique de l'Egypte. Or, cet amendement, permettant plusieurs candidatures à la présidentielle, vient un peu tard, d'autant plus que la proximité du scrutin, prévu en principe en septembre prochain, l'impréparation de l'opposition, vont donner au pouvoir, d'affirmer, à peu de frais, que la démocratie est en bonne voie en Egypte. Ce qui est, en fait, un leurre dans un pays où la dictature a annihilé toute opposition, faisant le vide politique autour du Raïs Hosni Moubarak, 76 ans, qui règne sans partage depuis 24 ans et qui sans doute se succédera à lui-même, à l'automne prochain. Aussi, l'attentat de ce jeudi, tout en compliquant la donne égyptienne, suscite maints questionnements dans un pays qui voit toujours ses horizons bouchés.