On ne peut comprendre la série d'attentats et autres assassinats politiques qui ont ébranlé le Liban depuis presque une année maintenant sans avoir les “codes” du pays et ses clés historiques, culturelles et religieuses. Le poids du communautarisme, les ingérences étrangères s'appuyant chacune sur sa communauté confessionnelle, le jeu des alliances et des contre-alliances régionales sont autant d'ingrédients qui ont de tout temps alimenté la “poudrière” libanaise. Le XIXe siècle déjà était marqué par des luttes sanglantes entre maronites et druzes au Mont-Liban, notamment entre 1840 et 1860. C'est d'ailleurs ce conflit qui allait par la suite donner lieu à une intervention étrangère et justifier le mandat français qui allait être imposé au Liban entre 1920 et 1943, dès la chute de l'empire ottoman. Le 22 novembre 1943, le Liban accède à l'Indépendance. En 1958, éclate la première guerre civile suite à des affrontements armés entre les musulmans, conduits par Rachid Karamé, et les troupes chrétiennes du président Camille Chamoun. Le Liban devait subir les contrecoups de la crise régionale suite à la Guerre de Suez. En 1970, après les événements meurtriers de “Ayloul al Asswad” (Septembre noir) qui ont vu le massacre des fedayin palestiniens par l'armée royale jordanienne, l'OLP trouve refuge à Beyrouth. Très vite, Yasser Arafat devient le maître de la ville, une position qui déplaît fortement aux milices chrétiennes. Les “libanistes” étaient contre l'accueil des combattants Palestiniens tandis que les “arabistes” soutenaient qu'il fallait au contraire s'engager dans la Révolution palestinienne. C'est ainsi que, le 13 avril 1975 éclate “officiellement” la fameuse guerre civile libanaise entre ces deux tendances, une guerre qui allait s'étendre sur 15 ans, se soldant par 150 000 morts et des milliers de déplacés, sans parler de la destruction de Beyrouth. Pour ce qui est de la présence syrienne au Liban, il faut rappeler que c'est à la demande du président libanais Soleiman Frangié que l'armée syrienne est entrée à Beyrouth avec pour mission officielle de “pacifier” le pays et faire régner l'ordre par-dessus les factions rivales. C'était en 1976. Le Liban qui a toujours voulu observer une sorte de “neutralité suisse” par rapport aux conflits qui embrasaient la région, s'est finalement retrouvé le carrefour même de ces conflits et leur nœud gordien. “Les services secrets du monde entier sont à Beyrouth”, note un analyste libanais. Beyrouth devient littéralement une ville passoire, chacune des communautés en conflit appelant à la rescousse une force étrangère, la Syrie, les Etats-Unis, la France ou même Israël, l'ennemi intime, pour la protéger et consolider sa position dans l'inextricable échiquier ethnico-politique libanais. C'est ainsi qu'en 1982, les phalangistes de Béchir Gemayel (qui sera assassiné en août 1982) s'allient carrément avec l'état hébreux pour affaiblir l'OLP et la chasser de Beyrouth, cause, selon eux, de tous les maux du Liban. Avec l'entrée d'Israël à Beyrouth après l'opération “Paix en Galilée” conduite par Ariel Sharon, apparaît une nouvelle composante politique qui va peser de tout son poids dans le conflit : le Hezbollah. Allié de Téhéran, il affiche d'emblée son programme : chasser l'occupant israélien. Une mission qui lui apportera avec le temps un véritable ancrage populaire, surtout dans le sud chiite jusqu'alors fief du mouvement Amal et de son leader charismatique Nabih Berri. En octobre 1989, ont lieu les accords de Taëf qui mettent fin à la guerre civile. Un homme d'affaires, un philanthrope se prévalant de solides entrées dans les pays du Golfe, se présente comme l'homme de la situation. Il remporte haut la main les premières élections législatives post-guerre civile et devient Premier ministre. C'est Rafic Hariri. Son programme dans les années 1990 repose essentiellement sur la reconstruction de Beyrouth et la prise en charge des conséquences terribles de la guerre civile sur les plans économique et social. En 1998, Damas “vend” un général aux Libanais pour prendre les commandes du pays : Emile Lahoud. Mais le courant ne passe pas entre les deux hommes. Hariri démissionne. En 2000, Bachar al Assad succède à son père. Bachar ne cache pas son animosité pour Hariri. Ce dernier revient aux affaires la même année à la faveur de législatives triomphales. Le torchon brûle entre les deux camps. “L'arrivée en 1998 de Lahoud et en 2000 de Bachar allait donner lieu à une crise aiguë entre le couple Hariri-Kheddam et le couple Bachar-Lahoud. Ces deux camps étaient radicalement opposés en tout et la cohabitation entre eux allait s'avérer difficile”, explique Joseph Semaha du quotidien As Safir. Une tension ira crescendo entre les deux camps et conduira une nouvelle fois Hariri à jeter le tablier en octobre 2004. Le discours anti-syrien du Premier ministre milliardaire se radicalise de plus en plus. Il est désormais présenté comme l'homme de la rupture avec la tutelle syrienne. Il faut dire, par ailleurs, que trente ans de présence syrienne sous le couvert de “médiation fraternelle” laisse un sentiment de ras-le-bol chez un large secteur de l'opinion libanaise, surtout sa partie chrétienne. Abus en tous genres, corruption, et surtout manque d'autonomie de la part des responsables libanais finissent par agacer même l'homme de la rue. Sur ces entrefaites, le Conseil de sécurité, sous la pression de Paris et de Washington, pond la fameuse “1559”, une résolution qui exige le redéploiement de l'armée syrienne du Liban. Le 14 février 2005, Hariri est assassiné. Depuis, les choses vont très vite : un million de personnes défilent le 14 mars aux cris de “Souria itlahi barra”. C'est “intifadate l'istiqlal”, le “Printemps de Beyrouth”. Le retrait syrien s'accélère. Le Liban est enfin “libre”. Mais dans quelle proportion ? Jusqu'à quelle limite ? That is the question. La série des assassinats qui ont suivi ont montré toute la fragilité de cette “indépendance”. Pendant ce temps, la Commission d'enquête internationale cherche à accabler Bashar al Assad, surtout après les aveux compromettants de l'ancien numéro deux du régime syrien, Abdelhalim Kheddam, aveux qui tombent comme un pavé dans la mare et viennent éclabousser le régime syrien après un autre scandale non moins grave : le suicide le 12 octobre dernier du ministre de l'Intérieur Ghazi Kanaan. À Damas, on reproche au procureur allemand Detlev Mehlis d'avoir conduit une enquête unilatérale ne prenant en compte qu'une seule piste : celle de la Syrie. Jusqu'à présent, la “récolte pénale” est plutôt maigre : quatre officiers libanais ont été arrêtés. Rostom Ghazalé, ancien chef des renseignements militaires syriens au Liban, est toujours en liberté. Deux témoins-clés sur lesquels Mehlis a basé une bonne partie de ses investigations se sont rétractés. Bref, depuis une année, les Libanais se cherchent. Ils se prêtent clopin-clopant au difficile exercice de l'autonomie en politique et apprennent à gérer leurs affaires intérieures par eux-mêmes. Pas évident avec une classe politique otage de ses vieux réflexes et un confessionnalisme plus que jamais prégnant sur la vie politique et sociale comme en témoigne la dernière loi électorale qui perpétue ce système. Un système décrié justement par les manifestants du Printemps de Beyrouth, tous ces jeunes qui rêvent d'un Liban “banal”, d'une citoyenneté “déféodalisée”, débarrassée de tout contenu racial ou religieux. En un mot, de paix. Tout court… FICHE TECHNIQUE - Superficie : 10 452 km2. - Rivage : 225 km de côte. Le pays s'étend entre 25 et 80 km d'Est en Ouest. - Climat : méditerranéen. - Relief : chaîne du Liban (Jabal Loubnan, dont le point culminant est Kornet Al Saouda, à 3 088 km d'altitude), plaine de la Bekaâ à l'Est, rivières de l'Oronte et du Litani. - Villes principales : Beyrouth, Saïda, Sour (Tyr), Byblos, Tripoli, Baâlbek. - Population : 3,7 millions d'habitants dont 1,5 million vivant à Beyrouth. Rappelons que la guerre civile (1975-1990) a fait 150 000 morts. La diaspora libanaise est très importante (estimée à environs 5 millions de personnes). Elle est très active à l'étranger et joue un rôle économique et culturel très influent. - Notons que les mouvements de population suite aux différents conflits ont provoqué l'arrivée de diverses ethnies : réfugiés arméniens, palestiniens, kurdes, syriens, ce qui donne du Liban l'image d'une mosaïque ethno-démographique difficile à décrypter. - Communautés religieuses : 17, les principales étant la maronite (chrétienne), la musulmane, dont une majorité chiite et, dans une moindre mesure, la communauté druze, basée essentiellement dans la région montagneuse du Chouf. - Régime politique : démocratie parlementaire à base confessionnelle, avec un président de la République maronite (Emile Lahoud), un Premier ministre sunnite (Fouad Siniora) et un président du Parlement chiite (Nabih Berri). - Economie : l'économie du Liban est basée essentiellement sur le tertiaire (70% du PIB), les services (banques, assurances), le tourisme et l'import-export… M. B.