L´assassinat de Rafik Hariri rappelle combien cette région demeure explosive Quelles étaient les exigences américaines? Elles portaient essentiellement sur quatre points : la liberté d'action que le gouvernement syrien laissait aux organisations palestiniennes basées à Damas et considérées comme terroristes à Washington ; les facilités que la Syrie était accusée de donner au Hezbollah libanais, lui aussi assimilé à un mouvement terroriste, un accueil trop large aux hommes et aux groupes fuyant l'Irak, après avoir servi le régime de l'ancien président Saddam Hussein et enfin le développement d'armes de destruction massive, soit dans les usines d'armement locales, soit par achat à d'autres Etats.(6). Craignant les représailles, les responsables syriens, voulant sauver leur régime, prirent des décisions. Les organisations palestiniennes présentes à Damas furent invitées à déménager ou à restreindre leurs activités publiques. Les personnalités irakiennes et leur entourage repliés en territoire syrien furent priés de le quitter. On décida un resserrement sensible du dispositif syrien au Liban, ramené dans la Bekaâ, de manière qu'il ne soit en aucun cas impliqué dans la reprise éventuelle des activités militaires du Hezbollah - il ne pourrait pas être accusé d'intervenir dans d'éventuelles crises internes au Liban. Plus encore, M.Assad fit savoir qu'il ne s'opposerait en aucune façon aux choix de l'Autorité palestinienne dans ses négociations avec Israël, qu'il ne les critiquerait pas, ni ne s'en occuperait. Pourtant, cela ne suffit pas, les Américains demandaient toujours plus. Le 22 juillet 2003, écrit Paul Marie de la Gorce, le sous-secrétaire d'Etat, John Bolton, vint présenter son rapport, sans que l'on sache jusqu'à quel point il avait été modifié. Il accusait la Syrie de n'avoir pas donné de réponse satisfaisante aux exigences américaines et de constituer, par conséquent, une source latente d'aide au terrorisme international, une menace réelle pour l'indépendance du Liban et un danger potentiel pour la région si elle poursuivait la mise en oeuvre de ses programmes d'armes de destruction massive. Et ce fut, en effet, la deuxième étape : le Congrès vota, le 11 novembre 2003, une résolution - dite Syria Accountability Act - autorisant le président des Etats-Unis à édicter, quand il le déciderait, des sanctions correspondant au danger que la Syrie continuait de représenter aux yeux de Washington. Désormais enlisés en Irak par le développement de la résistance, les Etats-Unis étaient certainement peu soucieux d'accroître leur fardeau dans la région en se lançant dans de nouvelles aventures. Les sanctions préparées à Washington furent ajournées à deux reprises : après l'assassinat, le 22 mars 2004, de Cheikh Yassine, qui risquait de provoquer de graves troubles dans toute la région, puis quand la brusque détérioration de la situation des forces américaines en Irak, au moment de l'affaire de Fallouja, laissa craindre un embrasement plus général.(6). Israël : le grand vainqueur Le président George W. Bush finit, le 11 mai 2004, par édicter les sanctions prévues contre la Syrie. Ces mesures peuvent avoir de graves conséquences. Elles pourraient bloquer nombre d'importations - y compris en provenance de pays tiers, mais contenant plus de 1% de produits américains -, interdire les transactions en devises (la Banque commerciale est accusée de blanchir les fonds du terrorisme). Encore plus agressif fut jugé le comportement américain à l'égard des accords de partenariat projetés entre la Syrie et l'Union européenne. Car personne, à Damas, ne doute que les Etats-Unis soient à l'origine des démarches faites par certains Etats européens - le Royaume-Uni, les Pays-Bas, mais aussi l'Allemagne, puis, le 25 mai 2004, les 25 Etats membres - pour que ces accords ne soient acceptés que moyennant l'abandon par les Syriens de tout programme d'armes de destruction massive.(6) Dans un article d'une rare partialité et sous la plume de Jean Daniel, le Nouvel Observateur fait le procès de la Syrie. Il écrit d'abord que les accords du Caire ont été imposés au Liban, sans expliquer pourquoi on en est arrivé là. «...Les tensions, il n´en manque sans doute pas, elles sont même en train d´atteindre leur paroxysme. Mais la situation du cher Liban ne dépend pas entièrement de la véritable guerre qui sépare Israéliens et Palestiniens. Pour ce qui est du Liban, de nombreux jeunes cadres se sont mis en tête de réclamer la libanisation de leur pays. Libaniser le Liban, cela veut dire le rendre indépendant de la Syrie. Il y avait deux troupes d´occupation au Liban: celle d´Israël, qui conformément à la résolution 425 du Conseil de sécurité de l´ONU a évacué tout le territoire sauf quelques petits hameaux autrefois sous contrôle syrien. C´est à la Syrie que le Liban devrait les demander. Reste les troupes syriennes, dont on sait qu´elles se sentent chez elles depuis longtemps dans ce «pays frère»». On remarque au passage que Jean Daniel absout Israël alors ques fermes de Cheba ne sont toujours pas restituées Se faisant, le porte-parole des Libanais, Jean Daniel écrit : «Ce qui commence enfin à paraître véritablement scandaleux aux yeux des jeunes générations libanaises. Elles se demandent comment leurs aînés ont pu accepter de signer, en 1969, des accords que l´on nomme encore les accords du Caire. Aux termes de ces accords, les Egyptiens, les Syriens, les Jordaniens et tous les autres pays alentour interdisent à leurs Palestiniens la moindre action anti-israélienne. Le Liban est le seul pays, je dis bien le seul, où les Palestiniens se sont vu accorder le droit à la résidence et au travail, comme le droit aux déplacements, à la constitution de comités locaux, et surtout à la présence de postes de lutte armée, destinés à permettre aux Palestiniens de faire leur révolution par l´intermédiaire de la lutte sur les frontières israéliennes».(7). «Ce jour-là, c´est-à-dire le lundi 3 novembre 1969, la délégation libanaise et la délégation de l´OLP présidée par Yasser Arafat ont décidé, sans le dire expressément, mais cela ne trompait personne, que le Liban serait amené à être le seul pays bombardé, pillé, dévasté, crucifié par la guerre israélo-arabe. Les Syriens avaient arrêté tous les chefs palestiniens. Les Jordaniens allaient, l´année suivante (Septembre noir), en massacrer quelques milliers. Les Egyptiens venaient de recevoir la pile que l´on sait (1967). C´était aux Libanais et à eux seuls de se sacrifier, alors qu´il y avait depuis 1948 un accord d´armistice entre le Liban et Israël. Ces accords du Caire ont été conçus, organisés, écrits et appliqués par le président égyptien Gamal Abdel Nasser. Aujourd´hui, sur la frontière libano-israélienne, il devrait y avoir l´armée libanaise. Mais ni la Syrie ni d´ailleurs l´Iran ne l´entendent de cette oreille. Entre l´armée israélienne et l´armée libanaise, très vite, comme ailleurs, l´armistice serait conclu...Le Hezbollah a tenté avec beaucoup d´habileté de se servir de ses faits d´armes contre Israël pour orienter le Liban dans le sens d´un nivellement arabo-musulman et d´une perte de singularité. Quant aux Palestiniens, il faut les entendre : certains d´entre eux parlent du Liban comme d´une patrie perdue, où ils étaient dominateurs et respectés».(7).On remarque d'après cette analyse qui a le mérite d'être limpide que le nivellement vient de la culture arabo-musulmane qui fait perdre sa singularité au Liban. De plus pour Jean Daniel, les Libanais n'ont pas de problème avec Israël parce qu'ils ont signé un armistice et que les Israéliens ne sont en rien responsables de la situation qui prévaut au Sud-Liban. Il faudrait s'entendre sur ce que veut dire armistice dans la terminologie sioniste. Enfin, c'est à se demander pourquoi les Syriens sont là puisque, pour Jean Daniel, les Israéliens sont invisibles. L'assassinat de Rafik Hariri : la boîte de Pandore Ami de Jacques Chirac, Rafik Hariri a-t-il payé de sa vie son hostilité à l'occupation syrienne et le soutien qu'il avait reçu sur ce point à la fois de Paris et de Washington?... Quinze années de conflit, d'abord entre les forces musulmanes alliées aux Palestiniens d'Arafat contre les milices des forces chrétiennes, à partir de 1975. Avec ensuite la première intervention de la Syrie, en 1976. Puis celle d'Israël en 1978. 200.000 morts, des dizaines de milliers de réfugiés ou d'exilés. Et une capitale, Beyrouth, dont le centre sera à ce point détruit par les combats qu'il faudra le raser totalement avant même d'entamer les premiers travaux de reconstruction. C'est à cette guerre qu'on avait fini par croire sans fin que l'accord de paix de Taëf, signé en 1989, avait mis un terme. L'opposition, qui vient de perdre avec la mort de Rafik Hariri son chef naturel, appelle à la grève générale, en exigeant le départ du pouvoir en place, ainsi que le retrait total des troupes syriennes du Liban. Depuis sa démission du poste de Premier ministre l'an dernier, Rafik Hariri était-il devenu la bête noire du régime syrien, lui qui avait pourtant si longtemps réussi à faire l'équilibriste entre les mentors sourcilleux de Damas et les velléités d'autonomie de l'opposition libanaise? «Nous aurons une majorité et les Syriens ne pourront pas truquer le résultat des élections, avait-il confié il y a un mois à la correspondante à Paris du quotidien Irish Times. Je veux leur donner une dernière chance de faire une ouverture pour opérer un retrait dans le calme... Sinon, ce sera un désastre pour Damas... Les Américains les ont prévenus.»(8). «Changer le monde...», l´assassinat à Beyrouth de l´ancien Premier ministre libanais Rafik Hariri rappelle, écrit Jean Daniel, combien cette région demeure explosive, même après une trêve de quinze longues années au Liban....Il est évident que les stratèges de la seconde Intifada, qui prônaient la transformation de la résistance des lanceurs de pierres en organisation de guérilla, ont échoué. On prêtait à certains d´entre eux rien de moins qu´un désir de désorganiser les forces militaires d´Israël et de ruiner totalement le moral des civils. La force dévastatrice de la répression a conduit au contraire à saper le moral des Palestiniens et à démontrer la détermination d´Israël à ne pas connaître le destin des croisés du royaume franc de Jérusalem ou celui des colons français à la fin de la guerre d´Algérie.(9) Il est évident que s'agissant de la «Question d'Orient» chacun a sa solution. Jean Daniel à sa façon distribue les bons et les mauvais points, il se permet même d'expliciter pour mieux la faire absoudre, la stratégie d'Israël qu'il fortifie dans l'idée qu'il ne faut pas finir comme les colons français, situation qui, apparemment, lui est restée en travers de la plume. Cela ne l'a pas empêché de recevoir le doctorat honoris causa des mains des héritiers de ceux qui ont bouté les colons. Mon Dieu protégez-nous de «nos amis», nos ennemis on s'en charge ! Là où l'analyse de Jean Daniel nous paraît, cependant pertinente, c'est quand il parle de la positioon américaine: «Condoleezza Rice... affirme sa foi messianique dans la panacée démocratique et sa détermination à sauver le monde en exportant cette démocratie. Sans doute, Condoleezza Rice a-t-elle concédé qu´il ne fallait plus songer à «imposer» la démocratie mais la faire émerger de l´intérieur d´un pays en aidant les minorités opprimées... (9). Il vient que l'effervescence outre le ras-le-bol populaire et légitime peut avoir été catalysée de l'extérieur immédiat ou lointain. La situation politique et sécuritaire ne connaît aucun répit actuellement au Liban. Devant le Parlement syrien, le président Bachar Al Assad a clairement dit : «Nous allons retirer toutes nos forces au Liban dans la plaine de la Bekaâ et ensuite vers la frontière libano-syrienne.» La Syrie «n'est pas contre la résolution 1559 du Conseil de sécurité de l'ONU, malgré nos réserves [...]. Par cette initiative, la Syrie aura respecté ses engagements aux termes des accords de Taëf et mis en oeuvre la résolution 1559 (du Conseil de sécurité de l'ONU)» «Nous avons affirmé conclut-il, que la paix ne pourra se réaliser dans la région si nous ne récupérons pas nos terres occupées» par Israël, faisant allusion au plateau du Golan. La France a fait savoir qu'elle attendait que la Syrie «retire intégralement ses troupes et ses services du Liban dans les meilleurs délais». Washington a estimé que la Syrie persistait à ne pas répondre aux exigences de la communauté internationale avec ces « mesures prises à reculons. «Nous voulons que la démocratie au Liban réussisse. Et nous savons qu´elle ne peut pas réussir aussi longtemps qu´elle est placée sous l´occupation d´une puissance étrangère. Il n´est pas question de demi-mesures. Nous voulons un retrait complet», a affirmé George W. Bush lors d´un discours à Westfield (New Jersey, est). Le Liban sera de ce fait, le prochain pays à être démocratisé en attendant le tour de la Syrie... Nous comprenons mieux l'alliance objective des anciennes puissances de la vieille Europe avec le Nouvel Empire quand il s'agit de mettre au pas de petits peuples. Il est évident que s'agissant de la Syrie ancienne «chasse gardée» avec le Liban de la France, les Etats-Unis se devaient d'écouter les conseils de la France. Avec une rare unanimité, le tandem occidental s'est réunifié. La France, voyant là une occasion de revenir dans les bonnes grâces américaines à moindres frais si ce n'est à la Syrie d'accepter d'être «normalisée» selon la vision messianique de l'Amérique, vision qui arrange, naturellement, Israël. La Ligue arabe à Alger le 22 et le 23 mars, n'a naturellement pas donné d'engagement ni pour ni contre. Tout au plus, elle a réitéré des lapalissades. Intégrité du Liban, de la Syrie et paix globale avec Israël. Paix contre territoires à la veille de 1967. La réaction d'Israël n'a pas tardé quelques heures à peine après, elle rejette cette offre annonçant au passage que cette offre, déjà faite au Sommet de Beyrouth, est largement dépassée du fait de la nouvelle conjoncture. C'est dire si la théorie des dominos va, plus que jamais, reprendre du service. Le Grand Moyen-Orient, version moderne de la Question d'Orient s'imposera encore une fois, sans l'assentiment des peuples arabes victimes de l'incurie de leurs dirigeants. 6. Paul-Marie de La Gorce La Syrie sous pression Journaliste, Le Monde Diplomatique Juillet 2004. 7. Jean Daniel : Mainmise syrienne et arrestations arbitraires Le Liban sacrifié. Nouvel Observateur N° 1921 - 30/8/2001. 8. Henri Guirchon : L'attentat contre l'ancien Premier ministre libanais La main de Damas ? Le Nouvel Observateur n°2102 Semaine du jeudi 17 février 2005 - 9. Jean Daniel Changer le monde... Nouvel Observateur Hebdo N° 2102 - 17/2/2005