Entre les deux capitales, rien ne va plus et la Chine remet carrément en cause la candidature du Japon au Conseil de sécurité. Tout a commencé le week-end dernier par des manifestations dans plusieurs villes chinoises, notamment à Canton et à Shenzhen, dans le sud de la Chine. Ces manifestations, parfois violentes, ont rassemblé plusieurs milliers de personnes. Les manifestants réclamaient du Japon la reconnaissance de sa responsabilité dans les atrocités commises par l'armée impériale japonaise contre les Chinois à l'époque où leur pays était occupé par le pays du Soleil levant. Spontanées, comme le soutient Pékin, ou initiées en sous-main par le gouvernement chinois, comme l'affirme Tokyo, ces manifestations ont, en tout état de cause, rapidement débordé de leur cadre initial, pour devenir un véritable règlement de compte entre deux pays qui continuent de traîner un lourd contentieux, et les années de paix n'ont pas, semble-t-il, contribué à apaiser les rancunes, du moins à en réduire l'impact. Ainsi, la Chine a demandé que Tokyo reconnaisse les atrocités commises en Asie par l´armée impériale lors de la première moitié du XXe siècle. Toutefois, de la réclamation d'une reconnaissance, -et l'exigence des manifestants que Tokyo demande pardon, pour les crimes commis en Chine et en Asie par l'armée impériale japonaise, la querelle s'est insensiblement déplacée vers l'écriture de l'histoire, -tendancieuse selon Tokyo et Pékin-, que véhiculent les manuels scolaires respectifs des deux pays, pour déboucher carrément sur une remise en cause, par Pékin, de la candidature du Japon au siège de membre permanent du Conseil de sécurité élargi. Du coup l'affaire sino-japonaise prend des résonances à caractère international, dans la mesure où ce différend risque d'interférer dans le programme de réforme du secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan. Ainsi, en visite officielle à New Delhi, autre candidat à un siège permanent au Conseil de sécurité, le Premier ministre chinois, Wen Jiabao, a mis les pieds dans le plat en estimant mardi que "seul un pays qui assume la responsabilité de l´Histoire et gagne la confiance du peuple d´Asie et du monde dans son ensemble, peut avoir de plus grandes responsabilités au sein de la communauté internationale". Autrement dit, avant de prétendre avoir un siège de permanent au Conseil de sécurité, le Japon doit d'abord, selon Pékin, faire son mea-culpa et assumer son histoire passée. Selon les analystes, plus que les manuels scolaires «révisionnistes», c'est encore la possibilité pour le Japon d'être pourvu d'un siège permanent au Conseil de sécurité qui provoque le courroux de Pékin. Aussi, selon les mêmes analystes, la Chine cherche-t-elle à empêcher le Japon d'avoir un siège au Conseil de sécurité, cela sans avoir à recourir à son droit de veto, lequel veto pourrait être assimilé, estiment-ils, à une déclaration de guerre. Dès lors, Pékin cherche-t-il à trouver une ouverture qui contraindrait Tokyo à retirer de lui-même sa candidature au siège permanent du Conseil de sécurité. Ce qui ressort quelque peu des déclarations faites par le Premier ministre chinois, Wen Jiabao, mardi à New Delhi, qui affirme qu'il y a eu des «protestations à grande échelle» dans plusieurs pays asiatiques pour protester «contre la tentative du Japon de devenir un membre permanent du Conseil de sécurité» de l´ONU. Et M.Wen d'enfoncer le clou: «Je pense que les réponses fortes du peuple asiatique devraient susciter les réflexions profondes du gouvernement japonais». Ainsi, ce ne serait pas seulement le milliard de Chinois qui s'oppose à l'entrée du Japon au Conseil de sécurité, mais aussi un autre milliard d'Asiatiques qui verraient d'un mauvais oeil une telle promotion du Japon, selon le chef du gouvernement chinois. De fait, la réforme de l'ONU, et singulièrement l'élargissement du Conseil de sécurité à 24 membres, dont six nouveaux permanents, suscite maints appétits de la part des grandes et petites puissances qui, toutes, espèrent avoir une part du pactole et faire partie un jour du gotha mondial en devenant un intouchable, à l'instar des cinq permanents disposant du droit de veto, la Chine, les Etats-Unis, la France, la Grande-Bretagne et la Russie qui sont les seuls membres permanents du Conseil de sécurité depuis la création en 1945 de l'Organisation des Nations unies. Le Japon fait cause commune avec l´Allemagne, le Brésil et l´Inde pour obtenir chacun un siège permanent au Conseil de sécurité, rappelle-t-on. Récemment, le secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, a indiqué que l´élargissement devait aboutir même si les 191 pays membres de l´ONU ne parvenaient pas à se mettre d´accord lors de la session de l´Assemblée générale en septembre prochain. La querelle sino-japonaise qui débuta sur des accusations réciproques de prise de liberté avec l'histoire, s'est finalement centrée sur la candidature du Japon à un siège permanent au Conseil de sécurité. Ces distensions sino-japonaises ont induit un certain malaise au plan international faisant craindre un «déraillement» du projet d'élargissement du Conseil de sécurité. De fait, dans une déclaration reproduite par le Financial Times, daté d'hier, Mark Malloch Brown, directeur du cabinet du secrétaire général de l´ONU, Koffi Annan, estime que ces tensions «révèlent un malaise central face à... un élargissement qui crée un groupe encore plus important de grands Etats sans responsabilité dans leur région». Semblant tirer les premières conclusions du différend sino-japonais, le responsable onusien a également indiqué que le Japon, l´Allemagne et l´Inde, candidats à un siège permanent au Conseil de sécurité, "doivent vraiment écouter leur région et leur donner l´assurance qu´ils ne vont pas se servir de leur siège pour régler de vieux comptes au sein de leur région mais qu´ils accepteront réellement le sens d´une responsabilité envers elle ». Ce qui indique que le secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, prend très au sérieux le différend entre la Chine et la Japon qui risque de bouleverser la donne des réformes envisagées pour l'organisation internationale.