Oulaya Amamra meilleur espoir féminin pour son interprétation dans Divines La dernière édition de cette fête emblématique du cinéma qu'est la cérémonie des César a été forte en émotion. Et en enseignements surtout, s'agissant de la place exceptionnelle qu'occupe la France dans le concert des nations qui comptent dans le domaine du 7ème art. Grâce à l'exception culturelle qu'elle préserve contre vents et marées... Tous les ingrédients ont été réunis pour que la réussite soit totale, reflète les traditions démocratiques de ce pays. Mais qui a dit que la France était à l'évidence irrémédiablement gangrenée par l'idéologie fasciste, voire à bout de souffle? S'il est permis d'emprunter à Jean-Luc Godard le titre de son premier film magistralement interprété par Jean-Paul Belmondo et Jean Seberg, d'après un scénario de François Truffaut et une belle image de Raoul Coutard. Le public présent à la salle Pleyel a été agréablement surpris par un Jean-Paul Belmondo des grands jours, malgré le poids de ses 83 ans, aux antipodes de son personnage incarné dans Pierrot le Fou, autre film de Jean-Luc Godard, et dont Les Tribulations d'un Chinois en Chine, aux côtés d'Ursula Andress d'après un film de Philippe de Brocca, ont été généreusement rappelées aux bons souvenirs des cinéphiles et des téléspectateurs. Bébel, pour les intimes, mettra à profit cette opportunité pour rendre un vibrant hommage à ses parents, une mère artiste-peintre et un père, sculpteur et médailleur né en 1898 à Alger. Ce n'est pas sans raison d'ailleurs, car c'est un peu sa mère qui sera à l'origine de sa carrière cinématographique: «Je n'ai jamais manqué de courage, grâce à elle, et c'est ça qui fait que je suis là.» Avec, à ses côtés, des amis de longue date à l'image de Françoise Fabian, Guy Bedos, Claudia Cardinale, Claude Brasseur, Vincent Elbaz, Annie Duperey, Marthe Vilalonga...Il ne manquait que Charles Aznavour...Cette 42ème cérémonie des César a été l'occasion tant rêvée par le grand acteur français Jean Dujardin pour lui témoigner respect, émerveillement et reconnaissance: «Il représente mon enfance, mon cinéma du dimanche soir, le mec à qui je voulais ressembler quand je jouais dans mon jardin le dimanche après-midi. Il représente la joie de vivre, l'énergie. Il représente vraiment tout le cinéma français. Surtout en ce moment, c'est bien qu'on se célèbre et qu'on s'aime bien.» Une reconnaissance qui va droit au coeur d'un géant du cinéma français que sa fille surprendra en pleurs. L'autre temps fort de cette manifestation demeure incontestablement l'apparition tant attendue de Georges Clooney qui enflamma notablement la salle par son élégante présence et un discours sensiblement défavorable à Donald Trump dont il dénonça les mesures insensées sans pour autant le nommer... Ultime estocade que voici, une négation qui traduit magistralement l'ire affichée par l'acteur, réalisateur et producteur américain à l'encontre d'un président dont les ambitions n'iront pas sans isoler les Etats-Unis du reste des nations éprises de paix et de progrès: «Pendant que l'on est ici, le monde vit des changements historiques, pas tous pour le meilleur.» Avant d'enchaîner avec un message empreint d'espoir où il annonce que «l'amour triomphera sur la haine, le courage sur la peur, et la justice sur le mal». Il recevra ensuite, des mains de Jean Dujardin, le César d'honneur. Juste retour des choses, serais-je tenté de renchérir, les deux amis ne sont pas près d'oublier l'année des Oscars américains où l'acteur français avait, grâce au film The Artist, raflé la statuette de la compétition à celui qui allait le diriger dans Monuments, un film consacré à la traque des oeuvres d'art volées par les nazis. Le souvenir de Théo et de jeunes victimes de violences policières Des coups de gueule, il y en a eu au cours de cette soirée où l'assistance était somptueusement et soigneusement parée. Celui du journaliste et réalisateur François Ruffin est non des moindres. Juste après qu'il eut reçu la statuette du meilleur film documentaire pour Merci patron: «On nous disait que notre documentaire était de la merde en refusant de nous aider. Il a fallu tout faire avec les moyens du bord. Ce César marque le début du chemin d'un combat qui vise à mettre fin aux inégalités sociales.» Une intervention incendiaire où ce cinéaste évoqua la délocalisation d'une multitude d'usines, le sort inique des ouvriers en France depuis trente ans: «Pourquoi ça dure? parce que ce sont des ouvriers qui sont touchés et que personne n'en a rien à foutre! Si des acteurs français étaient mis comme ça en concurrence avec des acteurs roumains, ce ne serait jamais permis.» Avant d'interpeller, usant souvent de termes crus, François Hollande pour faire enfin quelque chose pour eux à la veille de son départ. Une lettre de Ken Loach, César du meilleur film étranger avec Moi, Daniel Blake, s'invite à la salle Pleyel pour prolonger ce discours de rupture. Il dénonce les ravages de la politique conservatrice en Angleterre et invite les Français à faire un saut qualitatif en optant irréversiblement pour la gauche à l'occasion des nouvelles échéances présidentielles. Palme d'or au festival de Cannes 2016 avec le même film, le cinéaste britannique sait de quoi il parle et demeure fidèle au signifié de son film où il met en scène Daniel Blake, un menuisier anglais de 59 ans qui est contraint, pour la première fois de sa vie, de faire appel à l'aide sociale à la suite de problèmes cardiaques. Mais bien que son médecin lui ait interdit de travailler, il se voit signifier l'obligation d'une recherche d'emploi sous peine de sanction. La contestation est aussi venue d'ailleurs, de ces réalisateurs et acteurs néo-français venus d'Afrique qui s'imposent chaque jour davantage au nom de la diversité et au grand dam des forces lepénistes et de la droite française. Du reste, le tempo a été vite donné, et dès le départ, par la remise de la statuette du meilleur espoir féminin à l'éclatante Oulaya Amamra pour son interprétation dans Divines, le film de Houda Benyamina. Divine, sans jeu de mots aucun, aura été la gent féminine de cette production puisque la réalisatrice a décroché le César du meilleur premier film et Déborah Lukumuena celui de meilleure actrice dans un second rôle. Franco-Marocaine, la cinéaste avait déjà eu le privilège, l'année dernière au festival de Cannes, de décrocher la Caméra d'or grâce à une oeuvre qui «prend aux tripes.» De l'avis même de nombreux critiques de l'Hexagone, le film Divines se décline comme un coup de poing venu des quartiers populaires. D'un camp de Roms, en marge d'une cité de la banlieue parisienne où vit Dounia qui décide soudainement que dans sa vie tout serait possible: «Quitte à faire parler les poings!» César ex aequo du meilleur court-métrage, Maman (s) de Maïmouna Doucouré et Vers la tendresse de Alice Diop procèdent de la même démarche et de la même logique, portés de surcroît par des Françaises d'origine sénégalaise issues toutes deux des banlieues: la première rêvant de «faire tomber les murs», la seconde dédiant son film à Théo et aux jeunes victimes de violences policières: «Je voudrais dédier ce César à d'autres jeunes garçons dont les voix portent peu, pas assez et pour certains même plus du tout.» Lorsque les bourdes de Donald Trump font école à Los Angeles L'impossible communication entre les Etats et les êtres semble être à la base du signifié du nouveau film du cinéaste et monteur canadien Xavier Dolan. Juste la fin du monde suggère, en effet, l'impossibilité de la moindre communication entre les êtres. Ecrasé par la mélancolie, lit-on dans le script, «le revenant n'arrive pas à dire. Les autres ne veulent pas, ne peuvent pas entendre ce qu'ils devinent sans doute. C'est un moment de gêne absolue et de diversions hystériques. Un moment où toutes les névroses familiales, les jalousies, les frustrations, mais aussi les adorations, encore plus inavouables, se rejouent une dernière fois, dans le chaos». Depuis J'ai tué ma mère jusqu'à Mommy, souligne un confrère, «c'est la honte de soi qui sépare les membres d'une famille dans les films de Xavier Dolan.» Enfin, je l'ai laissé pour la fin, ce large panorama sur la 42ème cérémonie des César aurait été tronqué sans le merveilleux hommage que je comptais réserver à Isabelle Huppert. Cette merveilleuse rousse à l'énergie débordante, une brillante actrice aux facettes multiples qui lui permettent d'interpréter des rôles de femme antipathique, frustrée ou guettée par la folie, se glissant subrepticement dans la peau d'une fausse ingénue, d'une garce, d'une pianiste sulfureuse ou d'une mère supérieure un peu trop affectueuse. Les Golden Globes et César 2017, distinctions pour le meilleur rôle féminin, respectivement américaine et française pour le film Elle du cinéaste néerlandais Paul Verhoeren, sont loin d'être usurpés par cette actrice audacieuse à la carrière impressionnante, marquée par plus de cent films en France. Sa filmographie nous renseigne grandement sur sa riche carrière faisant d'elle l'une des actrices françaises les plus prolifiques, justement récompensée à deux reprises par le festival de Cannes pour Violette Nozière (1978) de Claude Chabrol et La pianiste (2001) de Michael Haneke, par un César pour La Cérémonie (1996) de Claude Chabrol et un Lion d'or pour l'ensemble de sa carrière à la Mostra de Venise (2005). OEuvre retorse et politiquement incorrecte dressant le portrait fascinant d'une femme guerrière, Elle, c'est son titre générique, a obtenu le César du meilleur film et permis un retour gagnant à son réalisateur pour avoir su faire de la patronne incarnée par Isabelle Huppert la descendante directe des héroïnes fortes et proactives de La chair et le sang, Basic instinct, Show girls ou Black Book, de l'avis même d'un critique de cinéma français: «Toutes partagent une même volonté d'utiliser tous les moyens, y compris le sexe, pour contrôler leur destinée dans des contextes de guerre, d'adversité ou de compétition extrêmes.» Tel ne semble pas être l'avis des organisateurs américains de la cérémonie des Oscars qui préfèreront la rassurante et attendrissante Emma Stone à la sulfureuse rousse française. Ainsi, l'Oscar de la meilleure interprète féminine est allé enrichir le magnifique palmarès de La La Land de Damien Chazelle. Et c'est loin d'être une bourde (et il y en a eu à Los Angeles) puisque cette oeuvre fortement appréciée totalise à elle seule six Oscars: actrice, réalisateur, acteur, chanson originale, musique de film, photographie. Moonlight est l'autre film à avoir marqué cette cérémonie. puisqu'il a décroché l'Oscar du Meilleur film, après une gaffe monumentale du comédien Warren Beatty et Faye Dunaway, les Bonnie and Clyde de notre jeunesse, qui se sont trompés d'enveloppe et ont fait croire pendant quelques minutes à l'équipe de La La Land qu'elle avait gagné... Ce n'était encore jamais arrivé dans l'histoire des Oscars. Mais il faut bien un début à tout... [email protected]