Par le fusil, avec une trousse de médicaments ou dans les refuges, elles sont omniprésentes. La femme algérienne a joué un rôle prépondérant lors de la guerre d'indépendance. Des milliers d'entre elles se sont investies dans la lutte sous toutes ses formes. dans les maquis, dans leurs villages, dans les centres de regroupements, dans les zones interdites ou dans les centres urbains, elles étaient à la hauteur de leurs responsabilités et de l'amour qu'elles portaient à leur patrie. Par le fusil, avec une trousse de médicaments ou dans les refuges, elles sont omniprésentes. Elles sont aux aguets pour scruter l'arrivée des soldats, attendre les moudjahidine pour les accueillir, leur préparer à manger, les informer, les renseigner, les guider etc. Elles savaient que le moudjahid n'a plus de famille, qu'il avait rompu tous les liens avec les siens et que désormais, elles l'accueillaient à leur place. Elles se lancèrent corps et âme dans la guerre aux côtés du peuple et des combattants; son rôle et son action ont varié selon les lieux et les périodes. Cette guerre qui dura 7 ans et demi sera dure, impitoyable et barbare au cours de laquelle la femme algérienne aura son lot de victimes, d'héroïnes tombées dans les combats et le plus souvent anonymes; elle fut la plus vulnérable, la plus exposée à tous les dangers. Elle était la proie de prédateurs sauvages qu'étaient les soldats, harkis, goumiers; des hordes avides de sang et guidées par un instinct bestial qu'est le viol. C'est elle qui a payé le lourd tribut de la guerre d'indépendance. Dans tous les villages, au cours des opérations de ratissage, après chacun des passages des soldats, il n'y avait que des larmes, du sang et des morts; de telles expéditions sont organisées contre des populations désarmées, sans défense et vulnérables. Et le secours ne viendra de nulle part. Heureusement que les combattants de l'ALN sont souvent là, à côté pour les venger! Pour voir de près le sang de ces bourreaux! Et combien de fois, ces femmes, ces braves barraient le chemin aux moudjahidine qui s'apprêtaient à sortir des refuges à l'arrivée des soldats pour éviter les combats afin d'épargner la population des représailles. Alors, stoïques, conscientes des dangers, elles s'exclameront: «Aujourd'hui, nous voulons voir couler le sang des soldats de l'armée coloniale!». Quel courage, quelle obstination! De plain-pied dans la guerre Elles furent l'objet de respect, d'admiration et de reconnaissance de la part de leurs frères moudjahidine, des moussebiline et des citoyens. Elles forçaient notre admiration, l'admiration de tous. La nouveauté, c'est que leurs maris, leurs parents, leurs voisins ont fini par admettre leur nouveau rôle. Désormais, elles sont l'objet d'admiration des médias français depuis le déclenchement de la guerre, mais surtout depuis l'indépendance où le déballage les montra au grand jour. La femme algérienne est entrée de plain-pied dans la guerre. Son rôle évolua selon les périodes. Si dans les deux premières années, elles étaient chargées de l'hébergement, de la nourriture et de laver le linge des moudjahidine, elles vont investir le terrain des combats, au mépris de la mort; elles vont investir d'autres aspects de la guerre. A partir de 1956- 1957, elles découvrent le vrai visage de la guerre; désormais elles adoptent une stratégie, celle de la guerre à outrance. Face aux soldats, elles adoptent un autre comportement: elles se regroupent toutes dès leur arrivée, masquent leurs charmes et leur beauté en enduisant leurs robes de bouse de vache, de fumier; elles se barbouillent le visage de suie, les mains et les pieds de manière à se faire repoussantes pour éviter les assauts des soldats et préserver leur honneur. Et puis, elles essayeront de leur faire face, car elles ne les craignent plus. Elles osent les affronter, tout au moins par la parole, les insultes, les invectives. Les vieilles menaceront les soldats à l'aide de gourdins et leur prouveront qu'elles ne se laisseraient pas faire à chaque fois qu'ils tentaient de les approcher. Un soldat français témoignera plus tard que lors des premiers jours de l'opération «Jumelles», «les paras furent accueillis à coups de pierres par les femmes et les enfants!». Quel courage! Que de mérite d'exprimer ouvertement leur haine contre ces bourreaux, tout en n'ignorant pas les représailles. Le mythe est tombé Le mythe de l'invincibilité des soldats est tombé. Elles ont vu à maintes reprises des tués, des prisonniers et elles espéraient un jour être en face de l'un d'eux pour venger les milliers de femmes violées et les centaines de milliers de victimes civiles ou des moudjahidine tués, massacrés, des villages détruits, incendiés lors des opérations de ratissage ou des descentes fulgurantes de toutes ces hordes. Lorsqu'elles découvriront des soldats musulmans dans l'armée française, elles s'appliqueront scrupuleusement à les contacter pour leur reprocher leur mauvais choix et les inciter à rejoindre leurs frères moudjahidine. Elles servirent d'agents de liaison du FLN pour leur remettre des lettres leur rappelant leur devoir de rejoindre l'ALN, à déserter l'armée française et en ouvrant les portes des postes militaires aux moudjahidine pour les investir et s'emparer des armes, des munitions et des hommes. Elles réalisèrent des prouesses! Avec la création des zones interdites, les populations seront déracinées, les villages évacués et rasés, il fallait répondre aux besoins des maquis, l'approvisionnement des refuges en produits alimentaires, médicaments... Il fallait informer les maquis, reprendre les contacts, fournir des renseignements et maintenir les liens avec les moudjahidine. Enfin, depuis l'opération «Jumelles» jusqu'à la fin de la guerre, le rôle de la femme sera déterminant et même vital pour les maquis. Les hommes ayant déserté les villages restants ou ayant rejoint les villes, la femme prit la relève. En pleine guerre, elle est devenue la planche de salut des maquis. Elle remplacera efficacement l'homme qui a pris le maquis ou qui a fui la mort pour se réfugier en ville. Elle sera l'informatrice, le facteur, le ravitailleur, l'agent de renseignements... Elle est partout aux aguets pour attendre un signe des moudjahidine, un appel de détresse pour voler à leur secours ou pour recevoir des consignes. A la veille des négociations d'Evian et profitant des conjonctures politique et diplomatique, les femmes seront là, partout pour aller à la rencontre des appelés algériens, des harkis ou des goumiers pour les convaincre à nouveau, leur proposer de rejoindre l'ALN afin de participer à l'ultime combat avant l'indépendance. A cette période, c'est-à-dire vers 1961-1962, si une vingtaine de postes militaires ont été enlevés par les moudjahidine au niveau de la Wilaya III historique, nous le devons à ces «femmes courage», presque anonymes qui ont osé approcher ceux qui se trouvaient dans les rangs de l'armée française, de les faire basculer de notre côté et de les convaincre à ouvrir les portes des camps aux moudjahidine pour y entrer et s'emparer des armes et munitions, du matériel et neutraliser les soldats et les supplétifs qui s'y trouvaient. Nous avons alors constaté un phénomène, c'est que derrière chaque enlèvement de poste militaire, il y a eu des femmes à l'origine. Et c'est tout à leur honneur. Alors, grâce à elles, les maquis allaient se voir renforcer par un apport important de ces armes et de ces munitions. Et ce fut en partie, grâce à cet apport que l'ALN put retrouver son souffle après les grandes opérations «Challe» et continuer à porter des coups durs à l'ennemi lors de cette période décisive de la guerre jusqu'au cessez- le- feu. La femme algérienne aura ainsi marqué de son empreinte l'Histoire de notre guerre de Libération nationale.