Le président de la Cnag (Commission nationale pour l'amnistie générale) est désormais sous les feux de la rampe de l'actualité. Nous le rencontrons ce lundi, à peine quelques minutes avant qu'il ne se dirige vers la présidence de la République en vue d'y déposer les 6 412 dossiers ficelés en l'espace de quelques mois à peine. Dans cet entretien, il nous parle de ses contacts avec les gens en armes qui se montrent prêts à se rendre en contrepartie de certaines garanties. Il revient également sur la manière avec laquelle il a réussi à convaincre Ben Bella de rejoindre cette commission, mais aussi ce qu'il attend de Chadli et Zeroual qu'il espère rencontrer dans les prochains jours. Même Aït Ahmed, en sa qualité d'historique dont le poids transcende de loin son appartenance partisane, est appelé à contribution. Quant au référendum, tout porte à croire, selon ses estimations, qu'il n'aura pas lieu avant la fin de cette année. L'Expression: Une question d'ordre général avant d'entrer dans le vif du sujet, où en êtes-vous présentement? Abderrezak Smaïl:Mon plus grand souhait est que la presse joue correctement son rôle et soit aussi professionnelle que citoyenne en s'investissant en faveur de l'amnistie générale, sans verser dans la désinformation. J'ai, par exemple, été étonné de lire dans un journal que j'aurais déposé hier mes dossiers auprès de la présidence de la République. Or, c'est faux. Je m'apprête en ce moment à monter à la Présidence pour déposer les dossiers en question (il nous montre les cartons de dossiers durant l'entretien qui a eu lieu ce lundi, avant d'accepter volontiers d'être pris en photo devant eux). Il semble que les choses soient en train de s'accélérer puisque vous avez finalisé les dossiers que vous vous apprêtez aujourd'hui à remettre au président de la République. Est-ce à dire que le travail de terrain est terminé? Pas du tout. De grandes tâches nous attendent encore. En fait, nous ne sommes qu'au tout début de notre immense travail. Et quel est le nombre de dossiers récoltés par vous et quels en sont les détails? Nous avons finalisé 6 412 dossiers répartis en 9 cas bien distincts les uns des autres. (Pour ne pas se tromper, il va chercher la fiche signalétique des cartons destinés à la présidence). Le premier cas concerne les incendies, pillages et rackets. Le nombre de dossiers y est de 3119. Le second concerne les personnes qui ne sont toujours pas réintégrées dans leurs postes d'emploi après avoir passé des séjours plus ou moins longs dans les camps du Sud. Ils sont au nombre de 37. Le troisième cas, qui n'a rien à voir avec la question, mais constitue pour moi un point de fixation personnel, a trait aux anciens moudjahidine authentiques qui n'ont toujours pas reçu leur fiche communale. Ces derniers sont au nombre de 14. Le quatrième cas a trait à ce que l'on appelle la hogra et les injustices. Ici, nous disposons de PV d'audition, dans lesquels les concernés signent et apposent leurs empreintes digitales. Ces derniers sont au nombre de 399. Ceux qui demandent à ce que leurs fusils de chasse leur soient restitués ou à être indemnisés sont, eux, au nombre de 2372. Nous avons également les dossiers de ceux qui ont déjà bénéficié soit de la loi sur la rahma, soit de la concorde civile. Ces gens, que beaucoup appellent les repentis, sont au nombre de 232. Ceux qui ont assisté à des assassinats en direct, sans savoir exactement qui a commis cela sont au nombre de 102. Eux aussi apportent des témoignages écrits et signés. Quant aux cas de disparitions forcées signalés à nous par leurs familles, ils sont au nombre de 68. En tout, cela fait 6 417 personnes ou familles prêtes à pardonner ou demandant à se faire pardonner et qui ne demandent qu'une chose: une indemnité. Vous parlez d'indemnités. Cela est compréhensible pour la plupart des cas signalés. Mais les repentis ne demandent-ils pas plutôt une meilleure prise en charge sociale afin de mieux se réinsérer au sein de la société? Les dossiers en question ne concernent, pour le moment, que les gens parfaitement intégrés dans la société. Lors de ma dernière conférence de presse, j'ai surpris tout le monde en permettant à 12 «émirs» de prendre la parole pour indiquer avoir été trompés, avant d'ajouter que si leur mort devait servir à résoudre la crise algérienne, ils étaient prêts à sacrifier leur vie sans la moindre hésitation. Ces repentis, qui rejettent eux-mêmes ce qualificatif, lui préfèrent le terme de « trompé », parce qu'ils ont été amenés à prendre les armes pour des raisons qui leur échappent, telle que la fuite devant les rafles policières, ce qu'ils pensaient être de l'injustice politique ou même de fausses raisons tirées de la religion. Et qu'en est-il pour ceux qui se trouvent toujours dans les maquis? Je confirme ici, solennellement, qu'il y a des contacts entre notre commission et les gens qui se trouvent toujours dans les maquis. Cela se fait le plus souvent grâce à leurs familles, quand ce ne sont pas eux qui prennent carrément attache avec nos bureaux locaux présents au niveau de 45 wilayas du pays. Je ne comprends d'ailleurs pas pourquoi les gens se montrent offusqués lorsque nous citons le cas du Gspc (Groupe salafiste pour la prédiction et le combat). Il est pourtant vrai que le plus gros de ses éléments se montre prêt à se rendre. Nos collaborateurs à travers le territoire national sont des gens sérieux, dignes de confiance, qui savent parfaitement ce qu'ils font et qui ne nous transmettent la moindre information, écrite que lorsqu'ils en sont absolument sûrs. Sur ce point précis, je suis absolument formel. Pouvez-vous, donc, nous fournir des estimations aussi bien pour ce qui concerne les endroits que le nombre d'éléments prêts à se rendre en contrepartie de certaines garanties? Ce ne sont là que des estimations, d'autant que les contacts, dans certains endroits, en sont encore à un stade préliminaire. Toujours est-il qu'environ 1000 éléments se montrent prêts à déposer les armes et à réintégrer la vie civile. Je cite, à titre d'exemple, le groupe de Annaba. Lorsque celui-ci a pris contact avec nous, nous lui avons demandé de se rapprocher des services de sécurité. Ces derniers l'ont rencontré, et pris acte de ses demandes concernant les garanties souhaitées avant de quitter définitivement le maquis. Des cas similaires se sont passés à Bouira, Blida, Tizi Ouzou, Médéa et Aïn Defla. Outre le Gspc, nous avons également des éléments du Gspd ainsi que les quelques groupuscules qui subsistent du GIA. Même à Alger ou ses environs, des contacts sont en cours. Je refuse de déterminer l'endroit avec exactitude afin de ne pas faire capoter ces négociations qui, du reste, en sont à un stade fort avancé. Les seules demandes de ces gens, dont le nombre, je le répète encore, avoisine le millier, sont de ne pas subir de campagnes punitives et de pouvoir se réinsérer normalement au sein de la société. Dans vos déclarations, vous omettez Jijel et Skikda où, pourtant, des groupes assez importants subsistent encore... En effet. J'ai simplement omis d'en parler. A Jijel, des contacts existent également. A Skikda, les choses sont allées encore plus loin puisque nous avons un émir qui s'est rendu et qui s'est montré prêt à convaincre ses anciens compagnons de déposer les armes. Si je comprends bien, l'écrasante majorité des éléments armés se trouvant encore dans les maquis se montreraient prêts à déposer les armes en contrepartie des garanties que vous citez plus haut. Partant de ce constat, vous devez déjà vous préparer à mener campagne en faveur de l'amnistie générale et de la réconciliation nationale... Les profanes ne connaissent que le FIS. Or, les choses sont loin d'être aussi simples. Il y a énormément de groupes qui peuplent les poches de maquis algériens. En dépit de cette multitude, l'écrasante majorité de ces groupes se montrent en effet prêts à déposer les armes, suivant nos informations et nos contacts. La raison en est toute simple. Tout Algérien, un tant soit peu sage, doté d'un minimum d'amour pour sa patrie, sait que ce plan présidentiel est le tout dernier et qu'après lui, il n'y aura plus rien. Soit nous réussissons, soit nous sautons de nouveau vers l'inconnu. Tout le monde a compris qu'il s'agit là de la dernière chance, quitte à remettre les compteurs à zéro. Il s'agira, à l'avenir, d'arriver vers un véritable Etat de droit et de faire cesser cette insécurité qui caractérise nos villes et villages. Je tiens quand même à dire que la réussite de cette entreprise revient également aux journalistes. C'est grâce à certains journaux que les gens qui se trouvent encore aux maquis ont appris notre existence et tenté ainsi de prendre contact avec nous afin de savoir de quoi il en retourne. Le bouche-à-oreille a fini par faire le reste. J'ai été le premier à emboîter le pas au président, dès le lendemain du 31 octobre, pour défendre sa réconciliation nationale et son amnistie générale. Les gens ont pu croire que j'étais opportuniste. Or il n'en est rien. Un nationaliste sait reconnaître les accents de sincérité d'un autre nationaliste. Je garde toujours en mémoire la lettre des 18 qu'avait aussi signée Bouteflika en 1987 et qui annonçait la tragédie que nous avons vécue dans le cas où les pouvoirs n'étaient pas séparés. A cette époque une véritable purge avait été opérée au FLN contre tous ceux qui soutenaient, ou même parlaient, de cette lettre. Nous avons, aujourd'hui, la chance d'avoir Bouteflika à la tête de l'Etat. Je sais qu'il est l'homme de la situation et je sais qu'il a mûrement réfléchi avant d'annoncer ce plan pour le moins ambitieux. Permettez-moi de revenir à la charge à propos des personnalités importantes prêtes à s'impliquer à vos côtés en faveur de l'amnistie générale... Il y a des personnalités de premier plan qui sont déjà avec nous et que tout un chacun connaît. Il y en a d'autres, avec lesquelles nous avons pris contact, qui se sont montrées prêtes à nous aider, mais qui ont voulu que leurs noms ne soient pas médiatisés pour le moment. Il s'agit de personnages très médiatiques, qui avaient occupé par le passé de très hauts postes au sein des institutions de l'Etat algérien. Beaucoup d'entre eux ont longuement débattu avec nous le sujet avant d'accepter de nous aider. Pour d'autres, le débat est toujours ouvert. N'est-il vraiment pas possible d'avoir des noms? Vous connaissez déjà Mechri, Boutadjine, qui sont publiquement avec nous. Il y en a beaucoup d'autres. Parmi eux figurent beaucoup de sénateurs et députés. Vous savez très bien que je fais allusion aux anciens chefs d'Etat, si l'on excepte le cas Ben Bella... Il est vrai que nous avons quelques contacts préliminaires avec les anciens présidents de la République. Je parle aussi bien de Liamine Zeroual que de Chadli Bendjedid. Je dois personnellement les rencontrer très bientôt. Un seul mot de leur part suffirait à donner plus de poids à notre entreprise, avant tout patriotique. Je raconte ici pour l'anecdote que j'ai eu un très long débat avec l'ancien président Ahmed Ben Bella qui a été très difficile à convaincre. Je précise ici que nous étions quasiment voisins de palier à Maghnia. A un certain moment, il a oublié le nom d'une personne qui se trouvait au maquis. En le lui rappelant, il s'est montré surpris que nous ayons accompli autant de travail de recherche, ce qui dénotait, à ses yeux, notre sérieux et notre engagement. Il a fini par accepter. Le soir-même, la direction de notre commission se réunissait pour l'élire à l'unanimité au poste de président d'honneur. Même Aït Ahmed, qui est un Zaïm, dont les déclarations et les positions comptent énormément, se doit de transcender ses visions partisanes pour se prononcer en faveur de la réconciliation nationale et de l'amnistie générale. Dans notre récent entretien avec l'ancien émir national de l'AIS, Madani Mezrag, celui-ci déclarait que vous aviez pris attache avec lui et qu'il avait refusé de vous aider pour deux raisons : la première est que le contenu de l'amnistie est ignoré par tous, la seconde est que vous n'êtes secondé par aucune institution dont les décisions comptent dans le pays. Qu'en est-il au juste? Très franchement, je n'ai pas connaissance qu'un pareil contact ait un jour été pris. Ce que je sais, en revanche, c'est que tous les émirs avec lesquels nous avons pris attache jusque-là, ou qui sont volontairement venus nous voir, ont volontiers accepté de nous aider. Je ne cite, à titre d'exemple, que le cas d'Ahmed Benaïcha, qui ne rate aucun de nos meetings à l'ouest du pays et qui intervient régulièrement en faveur de la réconciliation nationale et de l'amnistie générale. Mais si l'écrasante majorité de la population se montre favorable à ce plan, pourquoi alors tarde-t-il à se concrétiser sur le terrain d'autant que le président lui-même, à diverses occasions, avait indiqué que les conditions n'étaient pas encore prêtes pour aller vers la consultation référendaire? Je souris en me souvenant que certains analystes avaient prévu que le référendum aurait lieu en ce mois d'avril. Un travail de sensibilisation sur le terrain de longue haleine et de tous les jours est nécessaire avant que les larmes ne sèchent et que les victimes ne se montrent prêtes à oublier et à pardonner. C'est ce que nous nous évertuons à faire. Ce référendum est la plus difficile élection que l'Algérie aura à vivre. Les citoyens doivent accepter l'amnistie et pardonner eux-mêmes en toute conviction. Ce n'est pas la loi qui nous aide dans notre entreprise, bien au contraire. C'est, au contraire, la mansuétude contenue au sein de la religion musulmane qui sert la quasi-majorité de nos argumentaires. C'est pour cette raison que dans nos estimations, nous pensons que le référendum ne pourra avoir lieu qu'après les vacances d'été, c'est-à-dire entre septembre et décembre de cette année. Une chose est sûre : il aura bel et bien lieu avant la fin de 2005. Une question politique pour terminer. Certes, nous parlons d'amnistie générale. Mais il est également question de réconciliation nationale. Or, ne craignez-vous pas d'entrer en conflit avec les partis de l'Alliance présidentielle qui désirent, eux aussi, mener campagne en faveur de ce projet? Jamais il n'y aura conflit entre nous et une autre partie. Très franchement, certains partis m'ont mené la vie dure à cause de cela. Mais je me suis toujours défendu en indiquant que notre combat transcendait les strictes visions partisanes, me montrant même prêt à militer avec n'importe quel mouvement qui me prouverait qu'il était capable de faire mieux que moi. C'est l'intérêt de la nation algérienne qui est ici en jeu. Le devenir d'un parti politique, quel qu'il soit, pèse bien peu dans un pareil cas. Ce n'est pas tout. Nous sommes heureux de voir les autres, qu'ils soient ou non avec nous, s'investir en faveur de la réconciliation nationale et de l'amnistie générale. Cela, à nos yeux, ne constitue nullement une concurrence mais, au contraire, une aide loin d'être négligeable.