On est dans le quartier chic de Rouiba (banlieue est d'Alger), la Caddat, dit Dallas. Une magnifique cité vient de voir le jour juste en face des belles résidences de ce quartier. On sonne à l'interphone d'un de ces nouveaux immeubles à la face superbement recouverte par une belle peinture à effet de couleur chocolat. On pénètre dans le grand hall très illuminé pour monter les cinq étages de ce bâtiment. Boualem nous ouvre la belle porte de sa demeure. Dalle de sol, cuisine moderne et belles fenêtres en PVC composent ce logis. On pense alors être dans une de ces résidences luxueuses faites par des promoteurs privés dans les quatre coins de la capitale. «Pas du tout, vous pensez que Boualem a les moyens de s'acheter ce genre d'appartements? C'est un logement social que l'Etat m'a attribué», fait-il savoir avec bonheur en parlant de lui à la troisième personne. En effet, depuis six mois Boualem nage dans le bonheur. «Dans mes rêves les plus fous, je n'aurais pu espérer un appartement aussi beau», assure ce père de famille qui vivait «cloîtré» avec ses enfants dans une pièce de la vieille maison familiale au centre-ville de cette petite commune de l'Algérois. «Ça vaut le coup d'avoir attendu toutes ces années. J'ai un très bel appartement, dans le plus beau quartier de ma ville natale. Je n'ai même pas été dépaysé», rapporte-t-il en nous faisant fièrement visiter son cocon. Si Boualem est un pur Rouibéen, comme on dit du côté de cette petite ville, Farid, lui, vient d'une autre commune de la capitale, à savoir Bachdjarah. «C'est vrai que Rouiba c'est plus loin que Bachdjarah (10 km du centre contre 25 pour Rouiba, ndlr). Mais je n'ai pas à me plaindre. C'est une très belle ville qui dispose de toutes les commodités. J'ai un bel appartement, avec un très beau voisinage. Que demande le peuple?», dit-il non sans remercier les autorités à leur tête le président Bouteflika pour ce merveilleux cadeau. «Aucun pays dans le monde n'offrira à ses citoyens ce que mon pays m'a offert, je suis fier d'être Algérien. Tahia el Djazair! Yahia Bouteflika», poursuit-il les larmes aux yeux. On se croirait dans une résidence haut standing! On laisse nos deux amis nager dans leur bonheur pour aller voir un 2e site de logements sociaux qui se trouve à la sortie de la ville, plus exactement au quartier de Sbaat. Cette cité sociale est la plus connue des deux, du fait qu'elle avait tendance à défrayer la chronique en octobre dernier après de grosses manifestations. Ce n'était pas les relogés qui avaient manifesté, car il faut le dire, les logements sont aussi beaux que ceux du premier site, mais ce sont les anciens habitants de Sbaat qui demandaient à déloger les nouveaux relogés dans leurs quartiers. Pour faire plus simple, un conflit avait éclaté entre nouveaux et anciens habitants d'un quartier de cette paisible ville, à savoir Sbaat. Ce quartier qui se trouve à la sortie de la ville a vu récemment emménager de nouveaux habitants, dans le cadre du relogement de l'habitat précaire de la capitale. Les nouveaux arrivés viennent en majorité du tristement célèbre bidonville de «Haouch Kerrouche» dans la commune avoisinante de Réghaïa. Le bidonville a donc été détruit, ses habitants relogés dans des logements décents. Mais cette belle carte postale avait vite été lacérée en raison d'un grave problème d'adaptation. Depuis, le calme est revenu, mais une tension des plus palpables plane au niveau de cette cité des plus modernes. On y voit des voitures de police y faire des rondes, des jeunes assis en face qui les fusillent du regard, tout comme s'affrontent du regard les habitants des autres zones de ce quartier qui a été délimité en deux parties. On se croirait au Bronx, avec de beaux immeubles, mais plongés dans une atmosphère des plus pesantes. Très méfiants, les «relogés» refusent de parler à la presse. On arrive après insistance à leur «voler» quelques mots. Ils assurent, eux, qui ont grandi dans des bidonvilles des plus lugubres, qu'ils n'ont jamais vu d'aussi beaux appartements de leur vie. Néanmoins, ils avouent avoir une difficulté d'adaptation à cette nouvelle vie. «Surtout que mis à part dormir dans un logement confortable, rien n'a changé dans nos vies. On est toujours au chômage. Ils nous est difficile de trouver un moyen pour survivre, entretenir nos logements et payer nos charges», soutient Aâmi Abdellah qui a été relogé avec ses enfants après trente ans dans un bidonville. Une adaptation qui reste difficile pour certains... Apparemment, le relogement seul, sans accompagnement sociologique et psychologique, ne suffit pas. Il leur semble difficile de s'habituer à la vie normale avec la masse de frustrations et d'aigreurs qu'ils ont emmagasinée durant des décennies dans des situations d'insalubrité et de «mal-habitat». Il faut ajouter à cela des problèmes d'intégration dus au «houmisme» et au cloisonnement de ces habitants dans leur environnement naturel. La cohabitation devient ainsi des plus impossibles...C'est ce que nous confirme Na Fatma qui vivait dans un logement précaire à la cité des Palmiers à Bachdjarah. Après que sa famille et elle ont attendu toute leur vie pour obtenir un logement, elles ont vite déchanté. Elles ont abandonné leur appartement flambant neuf pour aller louer un petit studio à Bordj El Kiffane (17km d'Alger). «On a été relogés à Larbaâ (wilaya de Blida). Ce n'est pas la distance par rapport aux lieux de travail de nos enfants qui nous a fait partir, mais l'insécurité...», assure-t-elle avec colère. «On a été mélangés avec des habitants de bidonvilles connus pour être des coupe-gorge. Ils ont malheureusement apporté leurs mauvaises habitudes dans ces nouveaux quartiers qui sont pourtant agréables à vivre», a fait savoir, dépité, cette sexagénaire. «C'est en train de devenir des quartiers mal famés avec toutes sortes d'agressions et de fléaux sociaux. Les dealers de drogue y font la loi, ils vendent leur poison librement et essayent d'embobiner nos enfants. On a eu peur pour eux, on a donc décidé de laisser notre rêve derrière nous pour sauver nos enfants», témoigne-t-elle. «On a laissé un membre de la famille l'occuper pour ne pas le perdre, mais on se voit mal y revenir. Il y a beaucoup de gens bien dans notre quartier, qui sont dans la même situation que nous à cause d'une minorité de petits voyous qui a réussi à avoir la mainmise sur ces nouveaux quartiers», poursuit-elle avec le même dépit. En fait, selon cette dame on est en train de renouveler le modèle des banlieues françaises... A la cité des 3 216 Logements de Chaïbia, dans la commune d'Ouled- Chebel, à l'extrême sud de la wilaya d'Alger, on a également trouvé quelques habitants insatisfaits malgré la beauté du site qui dispose d'infrastructures que l'on ne trouve pas dans la majorité de nos cités tels que les jeux pour enfants, ou une polyclinique moderne. Mais il semblerait que ces bénéficiaires de logements sociaux cherchent la perfection. «On est loin de tout, on était à Alger, «nfawna» (on nous a exilés)», peste Tarek qui vivait pourtant dans un bidonville à El Harrach. «Ici, les gens qui ne possèdent pas de véhicules, se sentent complètement abandonnés, car il est difficile de se déplacer pour les achats, vu la distance qui les sépare des marchés et des différents commerces», conclut-il avec ce qui semble être du chichi...C'est cela «ma vie de relogé»...!