Le phénomène de la contrebande est en réalité un ensemble de détournements de subventions publiques On en est arrivé, au plus haut des trafics, à ce que l'Algérie fasse vivre une bonne partie des populations de quatre pays d'Afrique du Nord. Interpellé par un membre du Conseil de la nation, sur le gel des registres du commerce pour la vente en gros au niveau des régions frontalières du pays, le Premier ministre a expliqué la décision du gouvernement par des chiffres on ne peut plus révélateurs. «6756 registres du commerce pour la vente en gros ont été enregistrés dans les régions frontalières, 5825 commerçants en gros ont fait l'objet de contrôle dont 3021 n'exerçant pas dans les locaux déclarés auprès des services du Centre national du registre du commerce», a révélé Sellal dans sa réponse lue en son nom par la ministre chargée des Relations avec le Parlement, Ghania Eddalia. Loin d'être anodines, les statistiques du Centre national du registre du commerce démontrent clairement que le document qu'il délivre sert de paravent à un commerce autrement moins officiel. En effet, il est surtout destiné à couvrir une activité de contrebande, apparemment florissante, puisque près des deux tiers des commerçants contrôlé ont les mains et les pieds plongés dans le commerce parallèle. Cet état de fait qui passe pour un secret de Polichinelle dans les régions frontalières du pays est la conséquence directe de la généreuse politique de subvention des produits de large consommation adoptée par l'Algérie. Il fut un temps, en effet, où dans les villes marocaines à la frontière avec l'Algérie, des marché spécialisés dans les produits de contrebande étaient ouverts. A Oudjda, on les appelait des Souk El Fellah, en référence à ce qui se vendait en Algérie dans les grandes surfaces. On y trouvait de tout. des produits détergents, jusqu'à la semoule en passant par le concentré de tomate. Le phénomène de la contrebande, qui est en réalité un ensemble de détournements de subventions publiques par des commerçants indélicats, était une activité très prisée sur plusieurs milliers de kilomètres de frontières. Tous les habitants des bandes frontalières des pays de la région, du Niger jusqu'au Maroc en passant par le Mali, ont largement bénéficié de ce commerce «juteux» qui leur permettait de s'offrir des produits alimentaires à de petits prix contre leurs productions artisanales. Le troc «enrichissait» des commerçants de part et d'autre de la frontière, mais appauvrissait le Trésor public. On en est arrivé au plus haut des trafics à ce que l'Algérie fasse vivre une bonne partie des populations de quatre pays d'Afrique du Nord. Il semble que ce trafic, même efficacement combattu par les services de sécurité et à leur tête l'Armée nationale populaire, n'ait pas cessé pour autant. Puisque des saisies de denrées alimentaires subventionnées se font au quotidien dans le Grand Sud. Aux frontières nord-est et nord-ouest, la contrebande connaît certainement des moments durs en raison du déploiement des services de sécurité, mais au vu des révélations du Premier ministre, les contrebandiers n'ont pas dit leur dernier mot et continuent à exercer leur trafic. Pour preuve, l'information importante annoncée par le Premier ministre, ce jeudi, devant les sénateurs: «Un grand nombre de registres du commerce pour l'activité de vente en gros a été enregistré dans des zones éloignées et sous-peuplées, lesquelles ne nécessitent que nombre de vendeurs au détail.» C'est la preuve que le commerce illégal aux frontières n'a pas totalement disparu du fait de la pression sécuritaire. Le gel des attributions de registre du commerce vient justement appuyer l'effort des services de sécurité, histoire de fermer toutes les portes aux commerçants indélicats. Il va de soi, cependant, que les actions «coups de poing» des pouvoirs publics ne sont pas sans provoquer des désagréments au plan social dans ces régions. Car, si de gros bonnets, propriétaires desdits registres du commerce profitent du trafic, celui-ci fait tout de même vivre beaucoup de familles, dont la contrebande constitue le principal revenu pour bon nombre d'entre elles. C'est, en fait, le véritable sens de la question du sénateur adressé au Premier ministre. Un appauvrissement des régions frontalières serait donc le prix à payer d'une rigueur des pouvoirs publics aux frontières du pays. Il suffit de se rappeler les contestations sociales qui ont éclaté dans un village frontalier dont les habitants vivent de la contrebande de carburant, pour mesurer l'impact social du coup de vis du gouvernement à la contrebande aux frontières. Sur cet aspect des choses, le Premier ministre a énuméré, dans sa réponse, «les efforts consentis par l'Etat dans ce sens pour leur développement économique», à l'image des programmes de développement lourd de quelque «4478 milliards de dinars au profit de 11 wilayas dans le Sud et les Hauts-Plateaux». Plus spécifiquement destinés aux communes frontières, les pouvoirs publics affectent «un taux de la TVA aux opérations effectuées à l'importation au profit des communes ayant des bureaux de douanes frontaliers terrestres», rappellera le ministre. Cela suffit-il à créer les emplois détruits par la lutte contre la contrebande?