Amara Benyounès avec Brahim Takheroubt lors de l'entretien Sans préparation, sans avoir lu au préalable les questions, comme c'est la pratique chez nombre de responsables politiques, Amara Benyounès répond du tac au tac à ces questions qu'on lui a posées. Bref et concis, le président du MPA livre sa vision des choses de manière parfois trop franche pour un homme politique et s'exprime sur nombre de sujets qui marquent la scène politique et animent le débat à l'occasion de cette campagne électorale pour les législatives. L'Expression: Votre parti s'est fait remarquer lors des dernières législatives en obtenant sept sièges au Parlement et a fait une percée fulgurante en se plaçant en troisième position durant les élections locales avec 103 sièges aux APW. Cela rappelle le RND. Dans quel bord politique se situe le MPA? Amara Benyounès: Si on ose la comparaison avec nos amis du RND, quand ils ont créé leur parti, ils ont eu 156 sièges, si ma mémoire est bonne, alors que nous on a eu sept sièges sur 462 et aux locales on a eu un peu plus de 1 600 élus répartis sur 42 wilayas, nous avons gagné la majorité dans 91 communes. C'est un parti qui a bien démarré. Et après cinq années d'exercice le parti s'est élargi et nous espérons concrétiser lors du prochain scrutin du 4 mai, tous les efforts que nous avons fournis. S'agissant de l'échiquier politique, notre devise comme vous le voyez est «Modernes et Patriotes». Nous nous situons dans le courant de la modernité, de la démocratie, de la République et du patriotisme. Nous sommes dans la mouvance qu'on peut qualifier de patriotes républicains, de démocrates républicains. Nous sommes je pense un élément important de ce pôle et nous aspirons à participer à la construction d'une Algérie libre, démocratique et sociale. Le MPA a présenté des listes dans les 47 circonscriptions sur les 52 que compte la carte électorale. Vous visez quelle place à l'issue du scrutin du 4 mai prochain? On discute entre nous au sein du parti avec les militants, avec les candidats. Je suis en train de faire le tour du pays avec l'ensemble des candidats et c'est en allant sur le terrain que nous allons réellement voir quel est l'ancrage du parti dans les différentes wilayas du pays et quel est l'ancrage réel de nos candidats. Objectivement, à la fin de la campagne électorale, nous allons avoir une vue beaucoup plus précise de notre présence à l'intérieur du pays. Mais selon les premiers échos que nous avons eus le MPA est parti pour cette échéance électorale. Quel est le thème principal sur lequel sera menée cette campagne? Nous allons développer deux thèmes essentiels. Nous considérons que pour les prochaines années, le pays sera confronté à deux défis majeurs. Le premier sera sécuritaire et le second économique. Pour le défi sécuritaire, c'est un fait puisque nous vivons dans une région déstabilisée, le voisin libyen vit dans un chaos généralisé. La Tunisie est en convalescence et le Mali est instable tout comme le Niger. En somme, la situation sécuritaire est fragile et la solution ne dépend pas uniquement de l'Algérie puisque nous avons ces pays voisins et il y a nos partenaires occidentaux. L'autre défi auquel l'Algérie est confrontée est majeur, d'ordre économique. Nous avons perdu plus de 70% de nos recettes en devises en raison de la chute des prix du baril. Tout le monde est d'accord pour dire qu'il faut diversifier l'économie nationale, mais nous sommes le seul parti qui apporte des réponses concrètes quant à cette diversification, comment faire en matière d'investissements, comment faire en matière d'épargne, comment faire pour valoriser les ressources humaines, comment faire pour éradiquer le commerce informel... Nous allons donc essentiellement axer notre campagne sur cet aspect économique car nous estimons qu'il faut un véritable redressement économique et une véritable relance économique pour régler le problème du chômage et pour donner du pouvoir d'achat aux Algériens. Le débat sur l'argent sale a fait rage bien avant le début de cette campagne électorale. Certains avancent qu'il est exagéré, d'autres estiment que c'est une vraie gangrène du champ politique national. Qu'en dites-vous? Il y a du faux et du vrai. Du vrai dans le sens où on a vu qu'il y a un certain nombre de dérapages quand certaines personnes ont acheté leurs places de députés. Ils ont corrompu certains partis politiques pour s'offrir des places à l'hémicycle. Mais la chose avec laquelle je suis radicalement opposé avec certains homme politiques, c'est que dès qu'on voit un homme d'affaires se présenter aux élections ont dit que c'est de la «chk'ara». Non, ce n'est pas vrai! Il y a des gens honnêtes dans ce pays. Il y a des patrons qui ont de l'argent acquis honnêtement. Travaillant, en investissant. N'oublions pas que ce sont ces gens-là qui créent de la richesse, qui créent de l'emploi et qui payent leurs impôts. L'Algérie a besoin de ces gens-là et c'est avec eux que le pays deviendra émergent. Je dois dire que nous avons besoin de nos hommes d'affaires au lieu de passer le temps à les salir. C'est faux de dire qu'ils sont tous corrompus, qu'ils sont tous des voleurs. Ayant été ministre de l'Industrie et du Commerce, je suis bien placé pour dire que la quasi-totalité de nos hommes d'affaires payent leurs impôts et j'espère leur donner plus de chance et les aider d'avantage pour que le pays puisse aussi gagner avec eux. Aucun pays au monde ne pourra se développer sans ses hommes d'affaires. Il faut faire le distinguo entre l'argent sale et les vrais hommes d'affaires. Arrêtons donc de stigmatiser tous ceux qui ont gagné de l'argent dans ce pays. Etes-vous prêt à rejoindre le gouvernement au lendemain du scrutin du 4 mai prochain? Je l'ai dit il y a plus de 20 ans, le pouvoir n'est ni une maladie ni un tabou. L'objectif de tout parti politique c'est de gagner les élections et donc d'aller au gouvernement pour gérer les affaires du pays. Quand on décide de créer un parti politique c'est qu'on a l'intime conviction qu'on peut aider les Algériens à régler leurs problèmes. Et l'institution la plus indiquée pour régler les problèmes c'est le gouvernement. Soit le MPA arrive à réaliser un score important lors de ces législatives et si le MPA se retrouve dans une alliance parlementaire pour constituer une majorité, notre présence au gouvernement sera discutée à ce moment-là. Vous avec prédit le déclin de certains partis, annoncé la naissance d'autres alliances. En somme, vous annoncez une reconfiguration du champ politique. Comment voyez-vous cette nouvelle carte politique? Elle est en train de se dessiner avec les listes électorales, nous voyons l'émergence de nouvelles formations politiques. Nous voyons d'autres partis traditionnels, plus anciens qui peinent à présenter des listes. C'est ainsi que cela se passe de par le monde, des partis naissent, d'autres disparaissent. Je ne souhaite la disparition d'aucun parti et de toute façon c'est le peuple algérien, lui seul, qui décidera en toute souveraineté le 4 mai prochain quels sont les partis politiques qui iront le représenter à l'Assemblée populaire nationale. Mais il est vrai que la tendance générale est au changement de la carte politique et pour ne rien vous cacher, l'Algérie a grandement besoin de classe politique. Aujourd'hui on a des partis créés dans une période particulière, qui ont eu à gérer une conjoncture particulière. La situation a complètement changé. L'Algérie de 2017 n'a rien à voir avec celle de 1989 ou de 1990. Je pense que les Algériens ont besoin de nouveaux instruments politiques pour apporter des réponses nouvelles aux problèmes nouveaux qui se posent à l'Algérie. Vous pensez au FLN ou aux partis créés avec l'ouverture démocratique? Voulez-vous être plus précis? Je ne pense pas à tel ou tel autre parti. Je dis par contre que les prochaines élections verront l'émergence de nouveaux partis, c'est une évidence. Et cette émergence se fera évidemment au détriment d'autres partis qui commencent à avoir un certain nombre de problèmes. Ce n'est pas une spécificité algérienne, mais cela se passe dans tous les pays démocratiques où des partis peuvent être hégémoniques pendant un siècle et finissent par disparaître du champ politique. Les islamistes bombent le torse. A votre avis sont-ils aussi puissants qu'ils le laissent entendre? Quelle est la réalité de cette mouvance? Heureusement qu'ils ne le sont pas. Moi je suis convaincu que l'Algérie sera le premier pays dans le monde à dépasser l'islamisme politique. Les Algériens ont compris d'une manière définitive que la manipulation de la religion à des fins politiciennes conduit toujours au chaos. Les Algériens n'ont plus à revivre la douloureuse expérience des années 1990. On l'a vu et vérifié durant les dernières législatives: la mouvante islamiste est en régression et je pense que cette régression va se confirmer le 4 mai prochain. Vous avez été particulièrement dur avec ceux qui appellent au boycott de ces législatives. Ils ont au moins le droit de s'exprimer, non? Je ne suis pas dur avec ceux qui appellent au boycott, mais je leur pose une question: si nous boycottons le 4 mai qu'allons-nous faire le 5 mai? Si l'ensemble des Algériens boycottent le 5 mai, nous serons dans une véritable impasse politique. La question que je me pose et que je pose à ces messieurs, et à voix haute et intelligible est: «Si nous ne croyons pas aux élections, à quoi croyons-nous pour le changement dans le pays? Si les gens qui veulent changer de gouvernement, de président de la République, de majorité à l'Assemblée populaire nationale, ne croient pas au changement par les élections, que faut-il faire? Il y a trois manière d'arriver au pouvoir. Soit par la voie démocratique donc les élections, soit par voie insurrectionnelle donc la rue, soit par un putsch militaire. Cette dernière option est écartée en Algérie, nous avons une armée républicaine qui respecte ses prérogatives constitutionnelles et légales. C'est une armée au service du pays et dirigée par le président de la République. L'occasion m'est donnée pour lui rendre hommage à ses sacrifices et au travail qu'il accomplit pour sauvegarder l'intégrité territoriale et combattre les dernières poches du terrorisme encore dans le pays. La voie insurrectionnelle, on a vu la rue arabe (l'Egypte, la Libye et la Tunisie) ce qu'elle a donné comme résultat. La rue mène toujours vers le chaos. En définitive la seule voie qui reste est l'option démocratique c'est-à-dire les élections et ce quelles que soient par ailleurs, les insuffisances que peuvent connaître ces élections. Et moi aussi je me pose toujours la question: pourquoi ces mêmes partis boycottent une élection et participent à la prochaine et boycottent la suivante. Je relève ces contradictions pour souligner et dire qu'il n'y a pas de logique dans cette démarche. Ou toutes les élections ne sont pas transparentes ou elles le sont toutes. Ils disent que les jeux sont faits, moi je dis ce n'est pas vrai car si réellement ils sont de vrais partis politiques, qui ont, comme ils le disent, beaucoup de militants, si un parti politique dispose de 70.000 militants il est capable de surveiller les 65.000 bureaux de vote qui existent dans le pays. Parce que quand vous êtes dans un bureau de vote et que vous recevez le PV (procès-verbal) du centre de vote, le PV au niveau de la commune et le PV au niveau de la wilaya, je ne vois pas comment on peut trafiquer les élections.