Lorsque le bâtiment va, tout va La baisse de la commande publique, l'interdiction d'importation de certains matériaux de construction et les pressions qui pèsent sur le secteur représentent une parfaite opportunité pour l'assainir. Le Salon international du bâtiment et des matériaux de construction, le Batimatec, qui se tient depuis dimanche dernier au Palais des expositions de la Safex donne l'impression, si on devait s'y fier, que le secteur du BTP est en très bon état. En effet, tenu cette année sous le thème de «Partenariat et innovation», cet évènement, devenu incontournable pour les acteurs du secteur, connaît une participation de plus de 1200 exposants, dont 571 exposants sont étrangers et venant de 22 pays, notamment l'Espagne, la France, la Turquie, l'Italie, l'Egypte, les Emirats arabe-unis, etc. Cette forte présence des entreprises étrangères laisse comprendre que le bâtiment continue à représenter un marché intéressant pour les entreprises étrangères. Et ceci est d'autant plus vrai que l'édition de Batimatec de cette année est placée sous le signe du partenariat. «Le secteur du bâtiment a consommé près de 69 milliards de dollars US durant les deux derniers plans quinquennaux, jusqu'en 2016, ce qui représente un grand chiffre reflétant les réalisations dans ce domaine, notamment la construction de logements, toutes formules confondues», a indiqué Tebboune à l'ouverture de ce salon non sans préciser que la même cadence sera maintenue pour les années à venir. Toutefois, les acteurs du secteur ne partagent pas l'optimisme du ministre de l'Habitat, encore moins le rose de cette belle image qu'en donne Batimatec. Dans leur face-à-face avec le marché, certains opérateurs n'hésitent pas à tirer la sonnette d'alarme. «La moitié des entreprises privées du secteur du BTP risquent de mettre la clé sous le paillasson d'ici à la fin de l'année», a déclaré, lundi, sur Radio M. Brahim Hasnaoui, président-directeur général du Groupe des sociétés Hasnaoui, plus grand acteur du secteur en Algérie. Cette crainte, Brahim Hasnaoui l'explique par «la diminution drastique des moyens de l'Etat, qui entraîne à la fois l'interruption des commandes publiques qui constituent le moteur du secteur et les retards de paiement des dettes de l'Etat, envers les entreprises privées du secteur». «L'Etat n'a pas payé ses dettes envers ces entreprises depuis huit mois. Cette situation peut être supportée par les grandes entreprises, mais pas par les petites qui en souffrent. Les plus petites entreprises et les plus fragiles d'entre elles ont d'ailleurs quasiment abandonné», a-t-il ajouté. Il est difficile de savoir qui de Brahim Hasnnaui, de Abdelmadjid Tebboune ne dit pas toute la vérité, mais le ministre de l'Habitat a solennellement assuré que «les dossiers de toutes les entreprises créancières ont été traités» tout en précisant que «le retard accusé lors du 1er trimestre de l'année en cours n'est pas dû au manque de ressources financières, mais aux procédures techniques qui ont pris un peu de temps». L'autre point soulevé par Brahim Hasnaoui lors de son passage sur Radio M lundi, c'est l'accès au foncier qui continue à être un vrai casse-tête pour les entreprises algériennes puisqu'en la matière, «les entreprises étrangères sont privilégiées», selon lui. En effet, pour Hasnaoui, «l'Etat algérien doit libérer le foncier et favoriser les entreprises privées algériennes spécialisées dans le BTP afin de répondre plus efficacement à la demande sur le logement». «Le législateur algérien a légiféré en fonction de la Mitidja, une terre fertile. Mais ce n'est pas le cas de toutes les régions du pays. Dans certaines, il serait bien plus rentable de dégager du foncier pour la construction que de les réserver exclusivement à l'agriculture. Il est nécessaire de lancer des études pour identifier les terres où il serait plus bénéfique de mettre sur pied des projets de construction de logements» a-t-il recommandé afin de mettre fin au-accés au foncier urbanisable qui est devenu plus que rude. Néanmoins, malgré la sévérité de son constat, Brahim Hasnaoui estime qu'à long terme, la situation de crise que traverse le secteur du BTP peut s'avérer bénéfique, notamment en matière de baisse des coûts de certains matériaux. «La crise qui touche le BTP ne peut être que bénéfique pour le secteur, à long terme, parce qu'elle va imposer de nouveaux comportements à l'ensemble des acteurs qui, jusqu'ici, travaillaient dans un certain confort et n'étaient pas obligés de se surpasser pour innover», a-t-il indiqué. Il relève, entre autres, dans ce sens, que pour certains matériaux de construction, les marges bénéficiaires dépassent actuellement les 50%, notamment le ciment, le rond à béton et la brique, alors qu'il est possible de réduire les marges de 30% sans que les entreprises qui les produisent ne soient réellement affectées. Selon lui donc, la crise va faire sortir les entreprises qui produisent ces matériaux du confort dans lequel elles se complaisaient et les mettre sur la voie de la compétitivité car, avec la baisse de la demande, elle n'auront plus d'autre choix. Cette crise constitue aussi une opportunité pour développer la production des matériaux de construction afin de couvrir, dans un premier temps, les besoins du marché algérien et, dans un deuxième temps, en exporter. Et Brahim Hasnaoui s'inscrit parfaitement dans cette démarche. «Nous allons investir massivement dans la production de marbre et de granit, largement disponibles, mais encore importés pour un total de 160 millions de dollars. Notre objectif est de produire dans les trois années à venir 10.000 mètres carrés de marbre et de granit, dont la moitié sera destinée à l'exportation vers l'Europe», affirme-t-il. L'ambition du groupe Hasnaoui fait grandement rêver et ce d'autant plus qu'elle est en phase avec celle du gouvernement qui, selon Abdelmadjid Tebboune, aspire à atteindre un taux d'intégration de 100% dans le secteur du bâtiment dans les années à venir alors qu'il est de 85% actuellement. Pour réussir son pari, le gouvernement met en place des facilités d'investissement, notamment dans le cadre du nouveau Code d'investissement, mais procède aussi à l'interdiction d'importation de certains matériaux qui a permis à l'Etat d'économiser 1.4 milliard de dollars annuellement.Il est donc fort à parier que, avec les gros investissements qui se font dans la production des matériaux, de construction en Algérie et l'augmentation de la demande privée de ces mêmes produits, le secteur du BTP restera en bonne santé. Il cessera peut-être d'être la locomotive de la croissance hors hydrocarbures comme cela a été le cas ces dernières années, mais il ne vivra pas une profonde récession.