En ordonnant des frappes contre les milices kurdes en Syrie, le président turc Recep Tayyip Erdogan cherche à mettre la pression sur leur parrain américain avant sa prochaine rencontre avec Donald Trump, estiment des analystes. La Turquie a irrité Washington en bombardant mardi en Syrie un QG des Unités de protection du peuple kurde (YPG), faisant au moins 28 morts, et en lançant un raid aérien en Irak contre une milice pro-kurde, tuant accidentellement six membres des forces kurdes irakiennes. Le département d'Etat américain s'est dit «profondément préoccupé» par ces frappes menées «sans coordination appropriée avec les Etats-Unis ou la coalition» internationale qui combat les jihadistes du groupe Etat islamique (EI) en Syrie et en Irak. Cette démonstration de force avant une rencontre prévue à la mi-mai entre MM. Erdogan et Trump semble traduire l'exaspération des autorités turques devant le soutien apporté par Washington aux YPG, considérées par Ankara comme la branche syrienne des séparatistes kurdes de Turquie du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). En dépit des appels répétés de M. Erdogan, Washington, d'abord sous l'administration de Barack Obama, puis sous celle de M. Trump, continue en effet de soutenir cette milice kurde, considérée comme la force la plus efficace sur le terrain contre l'EI. Les YPG sont la principale composante des Forces démocratiques syriennes (FDS), une alliance de combattants kurdes et arabes luttant contre l'EI avec le soutien de Washington. «Ces frappes sont manifestement un geste d'énervement de la Turquie, s'inscrivant dans une longue suite d'appels aux Etats-Unis pour qu'ils cessent leur soutien aux YPG en Syrie», estime Jean Marcou, chercheur associé à l'Institut français d'études anatoliennes. «Depuis l'élection de Trump, la Turquie n'a cessé d'annoncer un changement de la position américaine sur le soutien aux YPG, mais en réalité Erdogan n'a pour l'instant rien obtenu», ajoute-t-il. Selon lui, «de toute évidence, la Turquie veut maintenir la pression sur les Etats-Unis, avant la rencontre de mai entre Donald Trump et Recep Tayyip Erdogan». La Turquie est d'autant plus excédée que les YPG sont appelées à jouer le premier rôle dans l'offensive en préparation contre Raqqa, la «capitale» de l'EI en Syrie, alors qu'Ankara semble en être tenu à l'écart, sa participation à une telle opération semblant incompatible avec celle des milices kurdes. «Ankara s'inquiète de ce qu'un rôle de premier plan des YPG à Raqqa ne renforce leur alliance avec Washington et leur confère davantage de légitimité sur le plan international. Vu le timing des frappes turques, l'une de leurs principales motivations pourrait être d'entraver les préparatifs pour une offensive sur Raqqa emmenée par les YPG», écrit l'International Crisis Group dans un rapport publié vendredi. Convenant que les frappes turques peuvent compliquer la lutte contre l'EI, Aykan Erdemir, de la Fondation pour la Défense de la démocratie basée à Washington, estime que M. Erdogan tentera de s'en servir comme levier pour obtenir des concessions de Washington sur son engagement auprès des milices kurdes et sur d'autres dossiers. «Washington s'est gardé de lancer l'opération de Raqqa avant le référendum du 16 avril (sur le renforcement des pouvoirs de M. Erdogan), pour éviter d'éventuelles complications avec Ankara, mais la campagne débridée de la Turquie contre le PKK et le YPG dans la foulée du scrutin pose un défi inattendu aux efforts de la coalition contre l'EI», a-t-il écrit dans une note d'analyse. «Plus cette campagne durera, plus il sera difficile pour Washington de préserver la coalition. Les tensions entre les membres de la coalition sont en effet l'un des principaux facteurs contribuant à la survie de l'EI», dit-il.