Un crime contre l'humanité resté impuni, même si les langues commencent peu à peu à se délier. Le monde qui célèbre aujourd'hui à Moscou sa victoire sur l'Allemagne Nazie, va-t-il avoir une pensée pour les victimes du 8 mai 1945, massacrés justement pour être sortis s'associer à la liesse mondiale et demander le recouvrement de leur liberté? En ce jour tragique, les Algériens ayant servi de chair à canon lors de la Seconde Guerre mondiale, et dont certains furent décorés par le président français, lors du soixantenaire du débarquement en Normandie, ne se doutaient pas que près de 45 000 de leurs concitoyens allaient être froidement exécutés par les disciples d'«Himmler» à Sétif, Guelma et Kherrata. Un crime contre l'humanité resté impuni, même si les langues commencent peu à peu à se délier. L'ambassadeur de France, M.Hubert Colin de Verdière, qui a eu, il y a quelques jours, le courage de se recueillir à Sétif, fait inédit depuis l'indépendance, à la mémoire de Bouzid Saal, première victime des événements sanglants du 8 mai 1945, ne l'a fait que pour l'intérêt des deux pays, engagés résolument dans une nouvelle ère de réconciliation. En n'hésitant pas de qualifier les évènements de Sétif, Guelma et Kherrata de «tragédie inexcusable», l'ambassadeur de France aura jeté un pavé dans la mare, en reconnaissant implicitement les crimes commis par son pays sur des Algériens. Les déclarations de M.de Verdière ont aussi le mérite de relancer le débat sur la notion de repentance. Même si, aujourd'hui, soixante ans après les événements sanglants du 8 mai 1945, la France refuse de demander pardon, se confinant dans une reconnaissance à doses homéopathiques des «erreurs» et autres «fautes» commises par la machine de guerre coloniale. Emboîtant le pas à l'ambassadeur de France en Algérie, le maire de Paris, qui avait le courage politique et surtout l'audace d'inaugurer une plaque commémorative à la mémoire des victimes des événements du 17 Octobre 1961, et baptisé une place à la mémoire de Maurice Audin, mort en 1957 sous la torture des militaires français, avait encouragé, lors de sa dernière visite à Alger, M.de Verdière de «continuer sur ce chemin». Pour M.Delanoë «la colonisation est un fait historique particulièrement regrettable». «Quand des fautes sont commises, tout le monde doit les regarder en face». Avant d'ajouter que «le fait colonial est injuste... et il ne saurait y avoir de sociétés civilisées que s'il y a des peuples égaux et libres», fera remarquer l'orateur. Selon le maire de Paris, il est temps d'«oser la vérité», d'autant plus, enchaîne-t-il, que «la colonisation n'est pas un fait positif». Il est donc permis de considérer qu'à quelques encablures de la signature du traité d'amitié entre les présidents Bouteflika et Chirac, la France se met d'ores et déjà sur la voie du pardon, pour peu que les responsables de ce pays aient le courage de reconnaître les crimes commis en Algérie, des événements du 8 mai 45 à ceux du 17 octobre 1961 à Paris, en passant bien entendu par la pratique de la torture à grande échelle pendant la guerre d'Algérie. Des exactions, que les tortionnaires Aussaresses, Massu et Shmitt n'ont pas hésité à faire l'apologie. Par ailleurs, la France qui a demandé aux autorités turques de reconnaître le génocide arménien de 1915, qui a réhabilité les harkis et fait «payer» Maurice Papon pour la déportation de juifs, estime que pour le «cas algérien», l'heure n'est pas à la repentance, préférant laisser le soin aux historiens de promouvoir ce «devoir de mémoire». C'est là un autre deux poids, deux mesures qui risquerait de peser lourd dans les relations entre Alger et Paris. Un partenariat d'«exception» que la France veut mettre à l'écart des «passions» du passé. Cependant, la reconnaissance des crimes commis, suffit-elle pour amener le peuple algérien à pardonner? Une chose est sûre : même si la France refuse de demander pardon, l'histoire retiendra qu'en ce jour du 8 mai 1945, il y a bel et bien eu crime contre l'humanité. Faut-il donc pardonner à la France?