«Où veut-on mener la Kabylie ?», s'interrogent les populations adultes du Djurdjura outrées par la haine de ceux qui incitent à la mort et à la violence. Des citoyens, authentiques représentants des ârchs ou pas, ont décidé de prendre attache avec le chef de l'Exécutif en vue de négociations relatives à la plate-forme d'El-Kseur avec le Président de la République. Mais au niveau de l'interwilayas et des principales villes de la Kabylie tout le monde n'est pas d'accord. Qui a raison et qui a tort? «Le proche avenir nous le dira», soulignent les Kabyles rencontrés lors du périple qui nous a menés dans différents villages du Djurdjura. «Même si la rencontre du 6 décembre n'a pas eu l'effet escompté de part et d'autre, elle a eu cependant le mérite de dissiper les doutes qui pesaient lourdement sur le Président quant à sa volonté de ne pas dialoguer avec les archs (...). Si cette rencontre n'a pas été une réussite c'est parce que certains délégués ont tout fait pour qu'elle échoue», explique un instituteur retraité du village Bou-mahni. Les négociateurs agissent certes pour le compte de toute la population. Mais il y a lieu cependant de voir s'ils négocient au nom de la majorité ou au nom de la minorité. «Peu importe qui va négocier (...) la question ne se pose pas ainsi (...) ceux qui demandent et exigent la mise en quarantaine des délégués taiwan font preuve de malhonnêteté criante. Dans ce cas, pourquoi ne mettent-ils pas aussi en quarantaine ceux qui violent, rackettent et portent atteinte à la dignité des villageois? Pourtant nous sommes en Kabylie ou tout finit par se savoir fatalement», ajoute cet instituteur. En tout état de cause, si négociation il y a, et il en y a une - plusieurs peut-être - elle doit être bénéfique, sinon elle n'a aucune raison d'être. L'idéal pour ces négociations serait la satisfaction de la plate-forme dans sa globalité à quelques exceptions près et qui recevrait l'aval des non-négociateurs. Cela étant, les Kabyles «saisissent mal le départ des brigades de la Gendarmerie nationale». «Ceux qui parlent ainsi ont-ils pensé par quoi remplacer ces brigades?», s'interroge un vieux militant berbériste. Dans tous les cas, la réussite de toute négociation est conditionnée par le choix du moment, les rapports de force en présence et l'habilité des négociateurs eux-mêmes. «Mais, ajoute ce quinquagénaire de Maâtkas, cela doit se faire sans arrière-pensée et sans manipulations de part et d'autre. Il ne faut pas faire échouer une rencontre et venir ensuite accuser la partie adverse pour soulever les populations (...) les délégués ne doivent pas oublier qu'il s'agit non pas de revendications politiques, mais de revendications citoyennes exprimées par la totalité des populations algériennes.» S'il n'y a pas négociations, quelle pourra donc être l'issue finale? Cette question qui inquiète pourtant les populations adultes ainsi qu'une grande partie des «élites» kabyles, est rarement évoquée par l'interwilayas. Cette dernière, accusée de faire dans la surenchère politicienne sur ordre «des segments oppositionnistes» incarnés par Saïd Sadi, Salhi Chawki et El Hachemi Chérif, refuse toutefois de dévoiler les moyens qu'elle compte mettre en application pour faire accepter la plate-forme d'El-Kseur dans son intégralité par le pouvoir. Dès lors, les habitants du Djurdjura, déjà profondément ébranlés par le doute et l'incertitude, s'interrogent de plus en plus sur la nature des instruments qui pourraient être retenus pour cette «éclatante victoire» sur le pouvoir . Nous ignorons les buts recherchés par cet entêtement, retentissent les voix sur l'axe San' Egidio Beni Yenni - Beni Amrane. «Nous n'avons aucune idée de la stratégie qui sera appliquée par les radicaux pour déboucher sur cette victoire éclatante», avoue une dentiste de Beni Yenni. Dans l'ignorance de cette stratégie, le rejet de toute négociation «ne serait-il pas une réelle contribution au pourrissement de la situation», dénoncé par le FFS et une certaine presse à partir d'une analyse autrement différente? Le refus de toute négociation ne risque-t-il pas de déboucher sur une confrontation violente entre les parties en cause? «Ils disent que les partis soutiennent les archs. Qui sont ces partis? S'il s'agit des revendicateurs de la lutte antiterroriste et de la modernité qui ont fait le virage à droite avant que même Gorbatchev ne soit une réalité dans l'ex-URSS ou de ceux-là qui ont été nourris et blanchis durant neuf ans par le pouvoir, et bien nous n'en voulons pas», lâche froidement un universitaire de Boghni. Bien sûr il n'est pas permis de douter de l'honnêteté et de la sincérité des messieurs «niet». Mais ces jusqu'au-boutistes majestueusement campés sur le principe intangible de la non-négociabilité, «ne risquent-ils pas, en fin de compte, de se voir entraîné et d'entraîner la région et par delà tout le pays vers des situations pour lesquelles actuellement les droits et les devoirs d'urgence internationale s'appliquent presque automatiquement», enchaîne notre universitaire. «Or l'Algérie ne dispose ni de Kandahar ni de Bora Tora». Les partisans du tout ou rien «devraient, toutefois, réfléchir profondément à cet aspect bien particulier de la question», conclut-il enfin. Et ce serait peut-être le meilleur service à rendre à la plate-forme d'El-Kseur et à tout ce qui s'y rattache de près ou de loin.