En dépit du deuil national, les ârchs ont convenu, en présence du Chef du gouvernement, de répondre favorablement à l'offre de dialogue de M. Bouteflika. Une démarche assez partagée par la Kabylie. Après avoir envoyé plusieurs missives au mouvement citoyen des ârchs, le chef de l'Exécutif, en l'occurrence Ali Benflis, a repris contact avec les délégués kabyles au Palais du gouvernement. Devant un Chef du gouvernement qui fait de l'humilité l'une de ses qualités premières, les représentants des ârchs ont convenu de reporter cette rencontre à une date ultérieure en raison de la catastrophe naturelle qui a endeuillé le pays. En effet, pour cette seconde prise de contact, Ali Benflis a fait valoir toute son humilité et son attachement aux réalités locales. Devant le souci légitime des délégués à sceller une unité au sein d'un mouvement marqué par des avis divergents, le Chef du gouvernement aura fait preuve de compréhension et de solidarité. «Nous voulons bâtir une Algérie à la mesure des espérances de son peuple», dira-t-il, pour décrisper le climat. Cette sincérité est aussi un gage du Chef du gouvernement à l'endroit de ceux qui doutent encore des suites favorables que compte donner le Président aux revendications formulées à travers la plate-forme d'El-Kseur. Mais au-delà de ces appréhensions tant redoutées par les uns et les autres, la rencontre Benflis-ârchs a été diversement interprétée en Kabylie qui porte visiblement le voile du deuil. Manifestement très émus par l'ampleur de la catastrophe qui a dévasté la capitale, les Kabyles dissimulent très mal leurs émotions et leur amertume. Même si le célèbre chanteur Akli Yahyatène dit n'avoir «aucun avis à donner», hormis «compassion aux familles sinistrées», il n'en demeure pas moins que cette rencontre a été au centre des conversations au cours de ce week-end à Boghni. «Il est inutile de caricaturer ou d'aller dans des polémiques stériles», dira un enseignant de lycée. «Ceux qui refusent, enchaîne notre interlocuteur, le dialogue sous prétexte que le pouvoir est illégitime font preuve de malhonnêteté (...).Ils citent l'exemple de la France, mais ils oublient volontairement de dire que la France d'aujourd'hui a été l'oeuvre de pouvoirs illégitimes (...).» A Draâ El-Mizan, les populations semblent affranchies de leur passé d'opposants radicaux. Krim Belkacem, Ali Mellah, Amar Ouamrane ou encore Si Salah (Zamoum Mohamed) font partie du passé. Et aujourd'hui, «il s'agit de mettre un terme à quarante ans de doute, de suspicion et d'incompréhension», estime un universitaire. Et d'ajouter en guise de réponse à un autonomiste: «Les ârchs ont gagné. La démarche de ceux qui ont dialogué avec Benflis est de nature à redonner confiance à tous les Algériens (...). Il n'y a pas si longtemps encore, il était pratiquement impensable de supposer le pouvoir en train de dialoguer avec des citoyens sur des questions de tamazight, d'autonomie ou de dépassements perpétrés par ses auxiliaires.» Plus cynique, un ancien militant du mouvement national à Ouadhia explique: «Pour cacher la débâcle de leur parti politique, certains délégués rejettent le dialogue et incitent la jeunesse kabyle à la violence. Ces gens refusent de dialoguer parce que tout simplement ils n'ont rien à proposer, ni aux Kabyles ni au pouvoir et encore au moins aux Algériens (...). Et s'ils veulent jouer encore un rôle aux ârchs, ils doivent se soumettre à la décision de la majorité.» En tout état de cause et au-delà de la rencontre du 14 novembre, les Kabyles considèrent que la bataille pour la liberté, la démocratie et la justice sociale passe autant par la concertation et le dialogue que par les chemins de l'émeute et de la violence. Et c'est tout là la sagesse des «djemaâs». Celle de nos ancêtres.