Rodin de Jacques Doillon et Les proies de Sofia Coppola mettent à nu le rapport délicat entre femme et homme en dévoilant leur fragilité... «L 'histoire est d'essence féminine. Le film se devait d'être réalisé par une femme. Avec un homme cela aurait été différent», fera remarquer la comédienne australienne Nicole Kidman au journaliste hier matin après la projection presse en avant-première mondiale du film «Les proies» de Sofia Coppolla venue avec sa smala de comédiennes dont Kirsten Dunst et Elle Fanning présenter son nouveau long métrage dans la compétition officielle en lice pour la Palme d'or. Un thriller historique qui ne manque pas d'humour. Une histoire bien romanesque qui se déroule lors de la guerre de Sécession. L'histoire a pour cadre un pensionnat de jeunes filles en effet pendant la guerre civile en 1864. Il ne reste que cinq élèves qui continuent à apprendre le français, à coudre et jouer du violon en attendant que la guerre cesse. Leurs journées monotones sont rythmées par le son des bombes et le passage périodique des soldats à la recherche de yankees. L'isolement de cet univers féminin est perturbé le jour où un soldat du camp ennemi arrive chez elles, il est blessé. La maîtresse de maison alias Nicole Kidman décide de lui offrir malgré tout l'hospitalité par charité chrétienne et de le soigner, mais un incident survient et ce quotidien des plus ennuyeux tourne au drame. Aussi, la réalisatrice parviendra à filmer l'ambivalence des sentiments de ces femmes troublées par cet homme qui suscitera en elles vite le réveil de leur sexualité, la perfidie et la jalousie. Mais «tel est pris qui croyait prendre» pourrions -nous résumer cette histoire qui finit mal. Sofia Coppola filmera cette chorale de femmes avec brio et tendresse non sans une pointe d'humour absurde qui ponctuera de nombreuses séquences intimistes. Les costumes sont aussi d'une précision forte nous plongeant véritablement dans une sorte de roman à l'eau de rose où l'émotion exacerbée se veut incisive. Mais l'atmosphère idyllique finit par s'épuiser et partir en éclats... L'ambiance cinglante, voire froide, qui va s'installer des lors n'est pas sans rappeler un autre long métrage dans lequel avait excellé Nicole Kidman, à savoir «Les autres», un film fantastique qui se déroule aussi en huis clos et où le personnage de Nicole Kidman se voulait aussi une femme brave et pieuse, bien soucieuse de prendre soin de son entourage, avec cette pointe de surprise mortifère qui clôt le tableau... Dans un autre registre ayant comme axe les arts plastiques, est le film français Rodin, biopic du célèbre sculpteur (dont on fête le centenaire cette année) façonné par Jacques Doillon.. et c'est l'acteur métamorphosé Vincent Lindon, Prix d'interprétation à Cannes en 2015 pour sa performance dans La Loi du marché de Stéphane Brizé qui a eu l'insigne honneur de se mettre dans la peau de cet irascible artiste croqueur de femmes, un peu comme notre soldat yankee. Nous sommes en 1880, Rodin âgé de 40 ans, reçoit sa première commande d'Etat pour réaliser La Porte de l'enfer, inspirée de La Divine Comédie, de Dante. Son assistante qui n'est autre que Camille Claudel, artiste confirmée mais pas assez reconnue comme lui. Ce qui lui vaudra d'ailleurs, on le verra plus tard, une forte dispute avec Rodin, l'accusant même de l'avoir copié. De la frustration naîtra malgré leur grand désir mutuel et leur rapport charnel bien souligné à l'écran. Ce non-accomplissement de cet amour par le mariage est entre autres l'une des raisons de leur conflit et rupture car Rodin n'ira jamais jusqu'au bout de ses projets ou promesses avec Camille Claudel. Tout comme la beauté créatrice chez lui estimera-t-il dans le film se situe dans «l'inachèvement» de ses statues le plus souvent amputées de bras et de têtes. Marqué d'une suite de chapitres annoncés par la voix du sculpteur, tel un carnet intime, Rodin même fiction à un beau réalisme documenté. Izïa Higelin qui joue Camille Claudel partage la vedette avec Vincent Lindon. Mais quand leur relation passionnelle s'éteint, Rodin finit par plonger dans les bras de ses nombreux modèles tout en fréquentant par intermittence sa compagne Rose Beuret campée par l'actrice plantureuse Séverine Caneele. Le film donne à voir un portrait d'un homme bourru et méticuleux qui dit être marié avec la matière, son oxygène est la terre et les enfants, l'argile qu'il façonne avec précision et finesse des doigts que le réalisateur filme d'une façon sublime. Mais le moment phare de son histoire est celle qui nous fera toucher du doigt la pertinence de cet artiste qui se savait déjà en avance sur son temps. Pour preuve, sa conception d'un Monument de Balzac, qui à l'époque fut controversé car réalisé dans un réalisme cru alors que les institutions commanditaires de cette statuette voulaient plutôt voir un homme beau, parfait et sans bedaine naturellement. Le biopic ne cessera de nous balancer entre l'intime et la vie professionnelle de ce géant de l'art moderne dont la dite sculpture restera longtemps dans un musée au Japon. Comment peut -on en effet dissocier vie privée de vie professionnelle quand celle-ci est intiment liée? Doillon réussit aussi à nous introduire dans le secret du travail de fabrication de ses sculptures dont Rodin parvenait pourtant facilement à matérialiser et à imaginer en l'absence d'une image ou de mesures de tête, ce qui le poussera à passer par pleine d'astuces pour y arriver. Le réalisateur nous offrira ainsi des scènes où l'artiste réalise des croquis, peints sans regarder sa feuille des corps nus dont il demandera d'inventer de nouveaux mouvements ou attitudes/ pauses. Là encore pour rester dans la thématique du féminin l'on constate encore une fois que ce sont les femmes qui demeurent souvent victimes non sans vouloir se défendre et se libérer du joug oppresseur de l'Autre et son pseudo ascendant sexuel. Et c'est dans cette optique que Camille Claudel finira par se libérer de Rodin en reprenant sa vie non sans heurts. Pour preuve aussi, cette réplique inattendue de Collin Pharel qui campe admirablement bien le rôle de ce soldat dans le film de Sofia Coppola, quand on lui posera la question: «Comment avez-vous fait pour séduire toutes ces femmes?» Il répondra avec assurance non sans une petite pointe d'ironie assumée: «J'ai un pénis!» Notons que ce le film Rodin a été projeté mardi soir à la presse alors que battant son plein, à côté, la soirée du 70e anniversaire du festival de Cannes qui a réuni au grand théâtre Lumières de nombreux cinéastes toutes générations confondues. On susurre même le nom de notre Palme d'or Mohamed Lakhdar Hamina... Mais cela reste à confirmer. Une soirée marquée en outre par l'hommage à la comédienne Isabelle Huppert qui décidément a vraiment le vent en poupe en ce moment, voir un peu trop...