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Paul Claudel, le voyageur enraciné
Une vie comme un roman
Publié dans El Watan le 02 - 02 - 2006

diplomate et poète, il s'en est fallu de peu que Paul Claudel échappe à une existence rare, une de celles dont la qualité fait rêver. Il lui a suffi d'avoir une sœur, la fameuse Camille, orageuse et talentueuse, considérée comme le véritable génie de la famille par son jeune frère ébloui.
Rompant les amarres avec la famille et le pays des origines, Camille Claudel s'installe à Paris, entraînant dans son sillage le petit Paul, l'enfant qui rêvait de « la trouée vers Paris, vers le monde, vers l'avenir ». La preuve, s'il en était besoin, que la vie parfois, pour certains, peut ressembler à un roman, un de ces romans d'apprentissage où le héros doit quitter sa province s'il veut réussir. A Paris, le roman des enfants Claudel se poursuit sous un ciel d'orage toujours pour Camille qui n'en peut plus de vivre avec Rodin et de se battre contre le maître sculpteur pour devenir plus qu'une élève, mieux qu'une maîtresse. Tandis que sa sœur se démène pour être ce qu'elle est à l'évidence, un être à part entière, Paul fait connaissance avec l'univers cruel des artistes parisiens. La souffrance est à l'heure des premiers rendez-vous avec une existence en attente d'une destinée qui donnera à Claudel un autre prénom d'estime que Camille. Cherchant à rompre avec un univers où l'anticonformisme ne garantit pas le bonheur, le jeune Paul s'achemine vers l'ordinaire d'un apprenant en butte à l'imbécile tyrannie des professeurs dans le « bagne matérialiste » du lycée Louis Legrand. Illustre institution mortifère. Seule la musique aide le lycéen à survivre, modulant l'appel du large qui souffle déjà à travers les premiers vers remontés contre la ville, « vieille chose qui perd ses pierres » et dont il aspire à se défaire comme de vieilles loques, « planches qui pendent », « poutres tordues ». Quitter ses oripeaux comme les enfers, l'un après l'autre. Camille a libéré Paul du pays des origines bourgeoises. Heurtant les trottoirs de Paris capitale, l'âme de Paul aspire à poursuivre sa ruée vers le soleil. Il est reçu premier au concours des Affaires étrangères. A lui, les trois continents, les plus pesants dans l'histoire des hommes : l'Amérique, l'Europe et l'Asie. Triple entreprise de possession. Et même s'il persiste quelque regret pour l'Océanie et l'Afrique à peine effleurées quelques jours à la fin de juin 1940, voilà que naît Paul Claudel, le « virtuose de la longitude », l'homme de la banquette avant pour qui « l'avenir a paru toujours plus intéressant que le passé ». Tel Hernani, la force qui va, le digne frère de Camille croit que l'homme vaut par son énergie. Claudel est devenu Paul. Il est l'homme qui se réalise à la manière d'un noyau atomique, appelé par l'extérieur, happé par un avenir qui lui a paru toujours plus intéressant que le passé, attiré par des pays dont il sait qu'ils ne révèlent certains de leurs secrets qu'à un étranger. Partout l'œil aux aguets et la plume alerte. Car chez Paul Claudel, le diplomate et le poète ne font qu'un. Et il se pourrait bien que diplomatie et poésie aient pour lui le même nom, mariées à jamais pour le meilleur, aussi facilement exercées que respirer avec le nez et entendre par les oreilles. Voir, sentir, écrire. Comprendre qu'« il n'y a plus d'individu qui n'ait besoin de l'Univers ». Encore faut-il avoir parcouru l'univers pour percevoir l'individu, le fils d'un père bureaucrate, conservateur aux hypothèques, natif d'un terroir limité dont les contours s'épanouissent et s'affirment sous les pas plumes d'un « voyageur enraciné ». Plus Claudel s'éloigne, plus il gravite autour de ce à quoi il a échappé grâce à sa sœur. Par la grâce de Camille, Paul découvre que la poésie « c'est la faculté de trouver la joie dans les choses qui existent ». C'est tout bête. Il faut quitter les choses qui existent pour réaliser qu'elles existent. Arriver au pied du Fujiyama et avoir plein les yeux « la vue admirable sur le Ventoux, la plus longue, la plus belle, la plus harmonieuse ligne de montagnes que j'ai vue de ma vie jusqu'à cette cime coiffée de neige ». Il aurait suffi de presque rien pour que l'on n'ait pas à domicile l'autre bout de la terre. Presque rien. Rien qu'une sœur sage, acceptant sans rage de perdre une irrésistible vocation, tuant dans l'œuf celle de son frère. Les Claudel seraient morts sans prénoms, sans sculpture de mots et de bronze pour sépulture.

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