Tout se passe comme si le dialogue algéro-français, longtemps confiné aux échanges de bons procédés, a fini par prendre des allures de franche explication. À distance, pour l'instant. Quand, en février dernier, l'ambassadeur de France à Alger qualifiait les massacres du 8 mai 1945 de “tragédie inexcusable”, on croyait qu'un processus de sincère remémoration était inauguré. Deux mois plus tard, Bertrand Delanoë, maire de Paris, déclare que la colonisation était “un fait historique regrettable”. Mais la déclaration de Colin de Verdière succédait à la promulgation de la loi portant “reconnaissance de la nation en faveur des Français rapatriés” qui proclame, en son article 4, “le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord”. Le mal était donc fait, et c'est en France que la réplique, initiée par des enseignants et des historiens, fut vive et prompte contre “le mensonge officiel sur des crimes, sur des massacres allant parfois jusqu'au génocide”. Etrangement, l'opinion algérienne et sa classe politique ont attendu longtemps avant de commencer à formuler leurs premières réactions, en mai dernier, après que le président Bouteflika a comparé, le 8 Mai à Sétif, les fours à chaux à des fours crématoires nazis. Ce n'est qu'en juin que le FLN ose mettre en rapport la loi du 23 février et l'avenir des relations algéro-françaises qu'elle pourrait “remettre en cause”. Il est donc clair que le “traité d'amitié” annoncé pour juillet prochain connaît quelque obstacle lié à l'appréciation respective de la période coloniale. On ne peut imaginer, en effet, un pacte entre une ancienne puissance coloniale et son ancienne colonie sans un accord sur la manière officielle d'apprécier la période historique commune. Or, depuis l'indépendance de l'Algérie, la période a été traitée, là-bas, par la fuite en avant et, ici, par l'incantation auto- magnifiante. Tant qu'il s'agit de diplomatie d'accolades, les deux pouvoirs se sont montrés prodigues en louanges réciproques et promesses communes. Mais il semble que, pressés par l'échéance d'un traité trop juré, ils se rendent compte qu'ils n'ont pas commencé par le bon bout. Les cérémonies ont précédé l'entente. Chirac ne peut pas s'émanciper des contingences politiques françaises à court terme et poser un acte symbolique en rapport avec l'histoire franco-algérienne. Comme Bouteflika, il parle d'histoire pour faire de la politique. Ils s'entendent tant qu'il est question de faire illusion sur quelque refondation algéro-française auprès des opinions respectives. Le discours magique a tenu le temps qu'il a pu. Il semble qu'on en soit enfin aux choses sérieuses. Et Bouteflika confiait hier franchement son sentiment : “il est nécessaire de réaffirmer que si notre pays est prêt à signer avec l'Etat français un traité de paix et d'amitié sur la base de l'égalité des nations et de la complémentarité de nos intérêts, il ne saurait en aucun cas cautionner, même par son silence, une prétendue mission civilisatrice du colonialisme qui reste pour nous et pour tous les peuples colonisés de la planète l'un des plus grands crimes contre l'Humanité que l'histoire a connus”. La position est claire : le traité d'amitié et la loi du 23 février sont incompatibles. M. H.