Le souverain marocain L'arrestation de Nasser Zefzafi semble avoir mis le feu aux poudres, les autorités croyant couper l'herbe sous les pieds des meneurs de la contestation née du drame d'octobre dernier lorsqu' un marchand de poisson a été broyé par une benne à ordures. La tension a baissé d'un cran à Al Hoceima où un rassemblement a eu lieu dans un calme relatif tandis que des manifestations ont eu lieu hier dans plusieurs grandes villes du Maroc, notamment à Casablanca et à Rabat. Le quartier populeux d'Al Hoceima, proche du centre-ville, a vibré au rythme d'une foule nombreuse venue témoigner son soutien au leader de la contestation qui a secoué la région du Rif depuis plusieurs semaines. Hay Sidi Abed a accueilli plusieurs centaines de marcheurs, mais bien plus nombreuses étaient les forces de sécurité déployées pour la circonstance. Aux cris «Nous sommes tous des Zefzafi», «halte à l'injustice», et autres slogans contre le Makhzen, la foule a défié pour la quatrième journée consécutive les policiers antiémeute et a réclamé la libération du chef de file du mouvement contestataire. L'arrestation de Nasser Zefzafi semble avoir mis le feu aux poudres contre toute attente, les autorités croyant couper l'herbe sous les pieds des meneurs de la contestation née du drame survenu en octobre dernier lorsque un jeune marchand de poisson a été broyé par un engin de nettoyage. C'est ainsi que, pour la première fois depuis ces dernières quarante-huit heures, des manifestants et des contre-manifestants se sont opposés à Casablanca, donnant lieu à des accrochages qui ont contraint les forces de l'ordre à intervenir. Selon certaines sources, la tension à Rabat a été encore plus vive, au point que les policiers ont foncé sur la foule pour disperser une foule impressionnante déterminée à montrer sa solidarité avec les habitants d'Al Hoceima et à revendiquer la libération des détenus politiques dont le leader de la contestation, Nasser Zefzafi. Le mouvement de grogne baptisé «Hirak» (la Mouvance) a transcendé en quelques semaines l'impressionnant dispositif sécuritaire déployé à Al Hoceima et dans d'autres villes du Rif pour atteindre la capitale économique du pays, Casablanca, et Rabat. Des sources concordantes évoquent également Marrakech et Tanger où les camions antiémeute auraient fait leur apparition dans de nombreuses artères. Pourtant, les rassemblements monstres qui ont pavé la grande place d'Al Hoceima pendant près d'un mois au cours desquels Zefzafi haranguait des milliers de jeunes attentifs à son argumentaire semblent finis. Le calme qui précède la tempête? Le dernier prêche du vendredi aura été le moment ultime de la croisade menée par Nasser Zefzafi dont le discours a trouvé écho bien au-delà de sa ville et risque d'enflammer d'autres régions, pour les motifs circonstanciés du chômage et de la mal-vie. Sans doute, le Rif a été abandonné par le Makhzen à cause de sa propension à la rébellion. Depuis le début de la crise, le gouvernement a dépêché en urgence plusieurs délégations pour s'enquérir des besoins et des attentes de la population d'Al Hoceima, après avoir un temps tenté de disqualifier le mouvement et de nier les circonstances du décès du poissonnier victime de la benne à ordures. Mais cela n'a guère suffi. La colère sourde qui montait sans que les dirigeants marocains ne mesurent sa dimension réelle a trouvé un porte-parole. Zefzafi est devenu l'icône de la révolte, porteur d'un flot d'accusations contre le Makhzen corrompu et l'arbitraire de ses représentants. L'homme a donné foi et courage à des milliers de ses concitoyens au prix de son verbe portant «atteinte à la sécurité intérieure» du pays. Ce n'est pas par hasard que les milliers de manifestants sortis crier leur colère dans plusieurs villes réclament la libération immédiate du meneur. Le risque pour le Royaume est tributaire de la forte propension de Zefzafi à se référer à une forte lecture religieuse et surtout à la figure emblématique de Abdelkrim al Khattabi, vainqueur du colonisateur espagnol et fondateur de l'éphémère République du Rif. Et comme il n'est pas le seul à nourrir une telle nostalgie, dans une région particulièrement frondeuse, il y a là de sérieuses raisons pour le roi du Maroc de s'inquiéter face à un tel réquisitoire qui n'épargne ni l'Etat ni l'administration locale ni les partis ni les élus ni même la société civile. Outrancier, le Savonarole marocain? Sans doute, ses références coraniques, ses invectives et ses tendances impulsives ont-elles de quoi troubler quand il s'agit de comprendre comment un verbe fruste mobilise autant de monde, bien au-delà d'une cité de 50.000 habitants. L'explication est toute simple. Les revendications, même formulées dans un style lapidaire, sont parfaitement légitimes et c'est cela que les foules entendent avant tout. De quoi donner des cauchemars aux dirigeants du pays.