L'Institut de prospection économique en Méditerranée vient de rendre publique une étude sur «la révolution digitale et ses incidences» notamment en Afrique du Nord. Pierre Beckouche, professeur des universités, à Paris 1 Panthéon Sorbonne a analysé l'impact sur la localisation des activités induit par la révolution digitale qui «renouvelle les relations Nord-Sud, de même que l'avance américaine renouvelle le risque d'une silicolonisation du monde plaçant l'Europe comme la Méditerranée et l'Afrique face à un même défi». 70% des Africains sont déjà équipés de téléphones mobiles au point de révolutionner le commerce (m-commerce) et banque (m-banking, qui progresse plus vite en Afrique qu'en Europe). Le chercheur souligne que «jamais depuis l'histoire moderne le rattrapage des pays en développement n'a autant permis de sauter les étapes». Mais cette révolution digitale va très au-delà de l'essor du secteur des TIC car de nombreux économistes défendent l'idée d'un nouveau paradigme, fondé sur le numérique et le collaboratif. Il tient au passage de la propriété privée à l'usage, et donc à la «servicification» d'offres qui étaient jusqu'à présent surtout assurées par l'acquisition d'un bien. Aussi, la demande des populations ira vers un lien plus direct entre productivité des entreprises ou des administrations, et créativité sociale. Même pour l'Afrique, les auteurs qui réfléchissent à la révolution digitale insistent sur sa profondeur radicale et parlent de l'ère numérique comme d'un «nouvel âge de l'humanité», et d'une rupture plus forte que ne le fut en son temps la révolution industrielle. Le thème des villes intelligentes (smart cities) va aussi s'imposer avec l'optimisation des déplacements et du stationnement, un fort contenu numérique de la production et l'optimisation de l'énergie. La transversalité numérique facilite l'intégration de services les plus divers, comme ces tableaux de bord multi-secteurs qui signalent les urgences à la mairie et les possibilités de contrôle policier, par exemple, sont tout aussi vastes. Entre le recul des intermédiaires-commerces, mais aussi notaires, banques, pharmacie, bureau de poste, institutions publiques locales- pourrait remettre en question le rôle des centres dans l'organisation de l'espace. Mais les risques sont également nombreux: fournir localement des services opérés de manière occasionnelle par des actifs ayant des statuts de type autoentrepreneur, des statuts précaires, voire pas de statut du tout, peut aussi conduire à une moindre garantie de la qualité de la prestation et de la couverture sociale des actifs. La souplesse des outils Web pour la collaboration de proximité apporte des revenus complémentaires à des actifs peu qualifiés, pour des prestations courantes que les clients ne demanderaient pas à des entreprises classiques pour des raisons de coûts trop élevés, ajoute l'auteur. Ce dernier explique que l'impact des technologies est multiforme: non seulement la hiérarchie internationale est modifiée, mais aussi les relations Nord-Sud (notamment avec le nouveau statut du «voisin») et les conditions mêmes du développement au Sud.