Dans l'attente des résultats de la présidentielle, la tension monte au Kenya où police et armée sont sur le qui-vive Le Kenya retenait son souffle hier dans l'attente de la proclamation du vainqueur de l'élection présidentielle, les résultats provisoires donnant le sortant Uhuru Kenyatta largement favori face à son rival Raila Odinga, qui revendique la victoire. Le nom du vainqueur ne sera annoncé par la commission électorale (Iebc) qu'une fois les résultats complets compilés et authentifiés au niveau des 290 circonscriptions du pays. Cette dernière a indiqué hier à la mi-journée avoir reçu les résultats de 273 circonscriptions. Les élections générales de mardi se sont déroulées dans le calme, mais le climat s'est détérioré à mesure que l'opposition a multiplié ses accusations de fraude. Des violences sporadiques et localisées ont fait au moins quatre morts, ravivant le spectre des scènes meurtrières qui avaient suivi l'élection présidentielle de 2007 (au moins 1 100 morts et plus de 600 000 déplacés). Hier, l'ambassadeur américain au Kenya Bob Godec s'est joint aux observateurs internationaux - Union européenne et Union africaine en tête - pour exhorter les Kenyans à la patience et leurs leaders à recourir aux voies légales prescrites en cas de désaccord. «La violence ne peut jamais être une option, aucun Kenyan ne devrait mourir pour une élection», a-t-il déclaré à la presse. «Le futur du Kenya est plus important que n'importe quelle élection, et il revient avant tout aux dirigeants de l'exprimer clairement». La ville de Kisumu (Ouest) et plusieurs bidonvilles de Nairobi étaient globalement calmes hier dans l'attente des résultats alors que des échauffourées réprimées sans ménagement par la police avaient explosé mercredi dans ces bastions de l'opposition, où les déceptions électorales sont fréquentes et souvent sources de tensions. La coalition d'opposition Nasa a évoqué dans un premier temps un piratage informatique et a affirmé jeudi détenir la preuve, sur la foi de sources internes à l'Iebc, que Raila Odinga avait gagné. Elle a alors enjoint la commission de le «déclarer président dûment élu de la République du Kenya». Cette déclaration de victoire par l'opposition avait suscité jeudi des scènes de liesse à Kisumu et dans plusieurs bidonvilles de Nairobi, alors que les résultats provisoires de l'Iebc créditaient M. Kenyatta de 54,24% des voix contre 44,87% à M. Odinga, sur 99% des bureaux de vote dépouillés. Répondant au camp de M. Odinga, la commission a relevé des erreurs grossières de tabulations dans les documents censés accréditer sa victoire et provenant selon elle d'une base de données Microsoft, quand l'Iebc utilise Oracle. Jeudi soir, M. Odinga, 72 ans, s'est dit «déçu» par les observateurs. «Nous ne voulons voir aucune violence au Kenya. Nous savons les conséquences de ce qui s'est passé en 2008 et nous ne voulons pas voir cela se répéter». Mais «je ne contrôle personne. Les gens veulent la justice», a-t-il ajouté. Une éventuelle victoire de M. Kenyatta laisse craindre un vif sentiment d'amertume chez les partisans de M. Odinga, et de possibles troubles. Le comportement des quelque 150.000 membres des forces de sécurité déployés pour le scrutin sera crucial dans les jours à venir. Amnesty international et M. Odinga jeudi, les ont appelés à ne pas faire un usage disproportionné de la force. Les accusations de fraude ont exacerbé les passions déjà lestées d'un demi-siècle de rivalité dynastique entre les familles Kenyatta et Odinga. Le père de ce dernier, Jaramogi Oginga Odinga, fut brièvement vice-président, avant de perdre la lutte post-indépendance pour le pouvoir au profit du premier chef d'Etat Jomo Kenyatta, père d'Uhuru. En outre, M. Odinga livre certainement sa dernière grande bataille politique, lui qui s'est présenté quatre fois à la présidentielle. En 2007, il avait rejeté la réélection de Mwai Kibaki, lors d'un scrutin entaché de nombreuses fraudes selon les observateurs. En 2013, il avait aussi contesté sa défaite et s'était tourné en vain vers la justice. M. Odinga, membre de la communauté luo de l'ouest du pays, s'est une nouvelle fois présenté comme le garant d'une répartition plus équitable des richesses de l'économie la plus dynamique d'Afrique de l'Est. De son côté, le président Kenyatta, issu de l'élite économique kikuyu, l'ethnie la plus nombreuse au Kenya, a mis en avant avec son colistier William Ruto le développement économique du pays, avec notamment la nouvelle ligne ferroviaire entre Nairobi et Mombasa. Si l'élection présidentielle était au centre de l'attention, les Kenyans ont également voté mardi pour élire leurs gouverneurs, députés, sénateurs, élus locaux et représentantes des femmes à l'Assemblée. L'opposition semble ainsi avoir perdu plusieurs postes de gouverneur de comté au profit du parti au pouvoir, dont celui très convoité de Nairobi, selon les résultats provisoires de l'Iebc. Dans trois autres comtés, des femmes semblent en passe d'obtenir des postes de gouverneurs, pour la première fois de l'histoire de ce pays.