Les jeunes cambistes font des affaires. L'été, c'est bien connu, est propice aux affaires pour les cambistes de Kabylie. L'euro, une devise assez demandée le reste de l'année, s'achète en cette période où les émigrés sont nombreux à venir passer des séjours au pays. C'est d'ailleurs la bonne époque pour faire le plein d'euros. Les émigrés échangent leurs devises contre les dinars. Aussi, les cours semblent avoir fléchi quelque peu. Les jeunes gens qui se transforment en cambistes l'espace d'un été ont une calculette en lieu et place d'un cerveau et ils s'en servent très bien! Ainsi et certainement que les places financières de Londres, de Tokyo ou de Paris et d'ailleurs peuvent nous envier ces jeunes gens dont le «métier» est de repérer ceux qui ont des euros et qui cherchent à les échanger contre des dinars et les autres ceux-là qui ont un besoin urgent de cette devise forte. Plusieurs places dans les villes de l'intérieur de la wilaya sont réputées pour être des marchés à devises. Ainsi à Larbaâ Nath Irathen, Aïn El Hammam, Azazga, Bouzeguène, Draâ El Mizan ou encore Boghni et Draâ Ben Khedda ou Maâtkas et Tizi Ouzou, des jeunes gens et aussi de moins jeunes se «promènent» avec des millions de centimes en monnaie nationale à l'affût d'éventuels changes. Ainsi à Tizi Quzou et devant le café de l'Union, ce sont des voitures stationnées et présentant des malles arrière assez gonflées en devises de toutes sortes et principalement en euros et aussi en dinars, qui guettent le client. Dans les villages, le change est encore plus simple. On connaît les émigrés et on tape carrément à leurs portes le lendemain même de leur arrivée. Souvent, d'ailleurs, ce sont les émigrés eux-mêmes qui recherchent ces agents de change. A souligner que ces cambistes d'occasion savent et peut-être souvent mieux qu'un agent des banques le cours de telle ou telle devise. Ils n'ont surtout pas besoin de calculette et, d'un coup, vous disent combien il faut allonger en dinars pour avoir des euros ! Que le dollar a de la fièvre et ils le savent avant le premier quidam venu et quand c'est l'euro qui s'enrhume, ils vous l'expliqueront et même avec force détails! Quand on veut les approcher, il faut montrer patte blanche, et avoir des connaissances sur la place. Car ces jeunes gens ont horreur de la publicité et fuient ce faisant les journalistes. Mais que l'on connaisse quelqu'un de la «confrérie» et les portes s'ouvrent, on vous explique, on vous met en garde contre les éventuelles arnaques et tout le toutim! Smaïl est un jeune homme dont le travail consiste justement à repérer les possédants en euros et le voilà parti à la recherche d'une éventuelle bonne affaire. Il explique: «Ils ne sont pas rares les émigrés qui, pressés d'échanger leurs euros, les bradent et c'est alors que les prix chutent sur la place. Actuellement, l'euro est coté à 11,75 DA, alors qu'il n'y a pas longtemps, il était cédé à 12 DA et même plus. L'âge d'or, c'était vers 1994 quand le franc a grimpé aux alentours de 20 DA. Aujourd'hui, on gagne raisonnablement sa vie.» Quand on demande à Smaïl s'il serait prêt à laisser tomber ce «métier» pour un emploi, il nous regarde avec étonnement, et une fois revenu de sa stupeur, il explique: «Il y a des jours, quand le change marche bien, où je me fais jusqu'à 2 ou 3 millions de centimes, alors travailler pour 12.000 DA par mois, non merci bien.» Il reste que Smaïl dira que «la police les traque et c'est normal. C'est de la contrebande». Mais ajoute Smaïl, «il faut bien prendre des risques». Un autre, apparemment plus récent dans ce «métier», avoue que «si cela était à refaire, je ne le referais plus. La police, quand elle vous attrape, non seulement saisit les euros et les dinars, mais vous présente devant les juges. C'est trop risqué». En attendant, les cambistes au noir prospèrent et il semble bien que la seule solution serait peut-être d'autoriser l'ouverture de bureaux de change dans nos villes et dans nos villages à l'image de ce qui se fait ailleurs. Les banques du pays seraient très avisées si un jour elles pensaient à prendre ces jeunes comme employés et certainement, ils s'en sortiront, même si apparemment, ce n'est pas demain la veille que nos institutions changeront pour s'intéresser enfin à des jeunes, non pas seulement sur la base de leurs diplômes, mais aussi et surtout sur leur façon de «gérer», à moins que ces derniers, une fois recrutés, ne se comportent comme des fonctionnaires. Mais c'est là une autre histoire.